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Déjanire de Saint-Saëns à Monte-Carlo – Ardente résurrection – Compte-rendu

 
Evidemment, après Louise ou Pelléas, Saint-Saëns dut paraître un peu vieux jeu avec sa Déjanire en 1911, et pas seulement parce que, répondant à une commande du prince de Monaco, il y recyclait une musique de scène composée en 1898 pour les arènes de Béziers (et même un poème symphonique de 1877 intitulé La Jeunesse d’Hercule). Mais nous ne jugeons plus aujourd’hui selon les mêmes critères cette partition, après son sommeil de plus d’un siècle en bibliothèque, et nous sommes prêts à l’accepter comme un bel opéra de la fin du XIXsiècle.
 

© J.L. Neveu
 
Alors qu’elle avait failli revoir le jour à Munich en décembre 2020 déjà, Déjanire reprend vie enfin, et il est enfin permis de savourer l’habileté extrême avec laquelle Saint-Saëns savait jouer avec les timbres de l’orchestre, et même d’admirer l’audace dont il fait preuve à la toute fin du dernier acte, osant des dissonances répétées pour évoquer la souffrance d’Hercule consumé par la tunique empoisonnée de Nessus. Par-delà le péplum avec ballet obligé (exotisme trompétant et castagnettes au début du quatrième acte), Déjanire peut enfin apparaître comme une œuvre lyrique où s’opposent d’ardentes passions, avec un couple d’amants heureux, enfin presque, Philoctète accablant brièvement Iole de reproches lorsqu’ils se retrouvent au troisième acte, et un couple d’époux déchirés, Hercule étant pour Déjanire un mari trop volage qu’elle tuera en croyant le reconquérir. Le livret, économe, se contente d’un personnage en plus de ce quatuor, la suivante Phénice qui s’efforce d’aider Déjanire par ses connaissances en magie.
 

Kazuki Yamada © Marco Borggreve

L’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo sait faire rutiler les cuivres mais aussi donner toute leur sensualité à certaines phrases des cordes, le chœur de l’Opéra de Monte-Carlo donne de la voix dans des passages qui, inévitablement, sentent encore le plein air et le besoin d’effet de masse, Kazuki Yamada, directeur artistique et musical de l’orchestre, s’emparant de la partition avec une belle conviction, et peut-être à un tempo un peu rapide, souvent, à en juger d’après le débit imposé aux chanteurs. L’Auditorium Rainier III n’est hélas pas la salle la plus favorable aux œuvres vocales : plus flatteuse pour les instruments, l’acoustique ne permet pas vraiment de saisir le texte de l’opéra, d’autant que le lieu n’est apparemment pas équipé de matériel de surtitrage.
 

© J.L. neveu
 
Parmi les cinq solistes figurent essentiellement des habitués du Palazzetto Bru Zane. Seule nouvelle venue, la mezzo australienne Anna Dowsley, qui affronte avec aplomb la tessiture exigeante de Phénice, aux graves de contralto mais également sollicitée dans l’aigu. En Philoctète, Jérôme Boutillier a finalement assez peu à chanter après son duo du premier acte avec sa bien-aimée ; on n’en apprécie pas moins le mordant du baryton et sa capacité à traduire les tourments de son personnages. Anaïs Constans prête à Iole toute la tendresse juvénile qui convient, et rend bien la trajectoire de la jeune captive d’Hercule qui passe par des affects variés, de l’indignation initiale à la résignation ultime.

Restent deux artistes qui étaient déjà réunis en 2012 pour la renaissance de l’opéra Le Mage de Massenet. Dans le rôle-titre, Kate Aldrich (photo) déploie une énergie dramatique impressionnante, jouant de tout son corps l’épouse délaissée, vengeresse et aimante à la fois : c’est sans doute elle qui pâtit le plus du problème acoustique signalé plus haut, et l’on compte sur les micros – car un enregistrement est à paraître, capté en studio dans les jours qui ont précédé le concert – pour restituer le texte un peu difficile à suivre en ce dimanche. Julien Dran, enfin, assure un rôle dont on sait qu’il était destiné à une voix plus héroïque, mais le ténor fait bien mieux que tirer son épingle du jeu : s’il réussit magistralement dans les demi-teintes du gracieux chant nuptial du dernier acte, plus proche de ses emplois actuels dans l’opéra-comique français, il offre aussi à Hercule une vraie vaillance, sans tricher ni gonfler artificiellement sa voix.

 
Laurent Bury

 Saint-Saëns : Déjanire (version de concert) – Monte-Carlo, Auditorium Rainier III, 16 octobre 2022
 
Photo © DR

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