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Suor Angelica & Il Prigionero à l'Opéra de Rome – Éloge de la folie – Compte rendu

 
 

Avec ce nouveau diptyque présenté au Teatro Costanzi en collaboration avec le Festival Puccini de Torre del Lago, Calixto Bieito et Michele Mariotti ont souhaité raconter la solitude, l’enfermement et la folie de deux êtres, à deux époques distinctes. Le destin d’une femme placée de force dans un couvent par sa famille (Suor Angelica) et celui d’un homme prisonnier des geôles de Philippe II ont ainsi été réunis pour constituer un spectacle labyrinthique qui dérange autant qu’il interroge.

 

Marie-Nicole Lemieux (Zia Principessa) & Corinne Winters ( Suor Angelica) © Fabrizio Sansoni-Teatro dell’Opera di Roma

 
Quand la folie menace
 
Isolée du monde, Suor Angelica vit recluse dans un couvent, symbolisé ici par un jardin planté d’herbes hautes et de fleurs (Anna Kirsch) où se retrouve chaque jour une étrange communauté. L’héroïne n’est pas là par choix, mais pour cacher un scandale, celle-ci ayant eu un enfant hors mariage. Prisonnière depuis sept ans, elle survit dans l’espoir d’être visitée par un parent et d’avoir enfin des nouvelles de l’extérieur, entourée de sœurs aux comportements insolites.
Les mouvements saccadés, les gestes désorientés et les danses inconvenantes de ces femmes sont là pour nous rappeler que la plupart d’entre elles a sombré dans la folie, état qui menace chaque jour un peu plus Suor Angelica. Pour mieux relier les deux œuvres et annoncer la mort des personnages principaux, des sœurs traverseront la scène en portant le corps de celui que l’on découvrira plus tard sans sa prison, Il Prigioniero et qui, avant de se volatiliser, prendra le temps de fixer le public, moment improbable mais réussi.

 

Corinne Winters ( Suor Angelica)  © Fabrizio Sansoni-Teatro dell’Opera di Roma

Corinne Winters vue récemment à Rome dans le rôle de Blanche de la Force (Dialogues des Carmélites montés par Emma Dante) se montre convaincante sur le plan scénique, mais plus appliquée sur le plan musical. Elle donne de la voix lors du suicide de Suor Angelica, mais son instrument manque d’ambitus pour traduire l’angoisse qui la saisit face au risque de damnation qu’elle voudrait éviter ; et si elle exécute correctement le fameux « Senza mamma », son chant manque de tripes et de technique pour tirer les larmes (n’est pas Renata Scotto qui veut !). Marie-Nicole Lemieux est convenable en Zia Principessa dont elle a les notes, mais son jeu reste obscur surtout lorsqu’elle se retrouve assise à son tour dans le jardin, à jouer comme une enfant avec les fleurs et les cailloux, comme si la démence l’avait saisie.

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Ángeles Blancas (Madre)  © Fabrizio Sansoni-Teatro dell’Opera di Roma

 
Impressionnante Ángeles Blancas

La seconde partie s’ouvre sur le jardin du couvent, mais celui-ci disparaît rapidement pour laisser la place à un plateau vide et creusé en son centre, faiblement éclairé. Désespérée par la mort de son fils, une mère, interprétée de manière impressionnante par la soprano Angeles Blancas, que nous n’avions pas entendue depuis plusieurs années, le revoit en songe et entre en communication avec lui. Enfermé dans une prison, il a depuis longtemps perdu tous ses repères et raconte à sa mère qui le lave puis l’habille après avoir été une nouvelle fois torturé, son terrible quotidien. Déshumanisé, il est devenu le jouet d’un geôlier sadique qui lui inflige les pires sévices physiques et psychologiques. Réfugié comme un animal sur un tronc d’arbre, le Prisonnier délire et croit qu’il va pouvoir retrouver la liberté…Le surveillant qui le nomme « Fratello » (Frère) lui ouvre la porte pour qu’il s’enfuit, mais une fois sur le seuil le Grand Inquisiteur l’arrête et le conduit au bûcher sans que ce dernier ne réagisse ...

 

Ángeles Blancas (Madre) & Mattia Olivieri ( Il Prigionero) © Fabrizio Sansoni-Teatro dell’Opera di Roma

 
Une émotion de chaque instant

Littéralement habité par son personnage, Mattia Olivieri (photo), hagard, perdu dans cet espace où il évolue comme un automate, est un Prisonnier bouleversant. Torturé, abandonné, il a depuis longtemps atteint les rivages de la folie, maintenu en vie par un bourreau qui se joue de lui et de sa conscience. Sa voix chaude et expressive traduit toute la complexité de cet homme soumis, que la douleur et la désolation étreignent et annihilent. Très à l’aise dans cette écriture issue du dodécaphonisme propre à Dallapiccola, le baryton étonnamment fragile et frémissant émeut à chaque instant, tout en rendant proche et accessible cette musique trop souvent taxée d’hermétisme grâce à une diction parfaite et à un legato souverain Dans le double rôle du geôlier et du Grand Inquisiteur, John Daszak est irréprochable, Nicola Straniero et Arturo Espinosa de bons comprimari.

Michele Mariotti totalement impliqué dans ce projet, excelle à diriger ces deux ouvrages que l’on imaginait incompatibles mais qui, par le truchement d’un orchestre aux couleurs automnales, aux phrasés subtils et aux tempi affirmés, forment un tout d’une rare cohérence.
 
François Lesueur
 

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Puccini : Suor Angelica / Dallapiccola : Il Prigioniero, Rome Teatro Costanzi, 2 mai 2025 / www.operaroma.it/spettacoli/suor-angelicail-prigioniero/

Photo : Mattia Olivieri (Il Prigionero) © Fabrizio Sansoni-Teatro dell’Opera di Roma
 

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