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La Chronique de Jacques Doucelin - L’irruption des femmes au pupitre

Il paraît bien révolu le temps où Catherine Comet quittait l’accompagnement des ballets pour l’orchestre de Grand Rapids aux Etats-Unis et où Dominique My fondait, en 1987, non sans humour, l’Ensemble Fa pour mieux servir ses camarades compositeurs. Elles étaient rares alors les femmes chefs d’orchestre ! En une semaine, trois d’entre elles sont successivement montées au pupitre de formations parisiennes pour défendre le répertoire du XXe siècle.

Ce fut d’abord Claire Gibault, sortie de l’école Louis Erlo, au sein de l’Opéra Studio à Paris, puis à l’Opéra de Lyon. Elle suivra aussi son idole Claudio Abbado de Londres à Vienne comme assistante, puis maternera le dernier orchestre junior du bouillant maestro, dit « Orchestre Mozart » et basé à Bolzano, avant d’être élue députée européenne. C’est elle qui a été choisie pour ouvrir la saison des Concerts Colonne salle Gaveau avec un programme de musique française qui mettait en regard le Concert champêtre de Poulenc et le Concerto pour clavecin, Braises, de François Bernard Mâche, avant une seconde partie plus contrastée avec la Première Symphonie écrite par Olivier Greif sur des poèmes de Paul Celan suivie d’un Pulcinella de Stravinsky plus guilleret.

A quelques jours de là, au Théâtre des Champs-Elysées, c’est l’Anglaise Andrea Quinn qui va jouer les sages femmes musicales à la tête de l’Ensemble Orchestral de Paris et créer dans la foulée deux concertos ! Avec la harpiste Isabelle Moretti, elle dirige d’abord la première audition du Tombeau de Virgile de Philippe Hersant qui n’échappe pas à un certain académisme daté. Puis, c’est l’envol, du premier coup d’aile, de L’Oiseau innumérable de Thierry Pécou, malgré son titre quelque peu bancal, mais grâce à la complicité magique du pianiste Alexandre Tharaud qui en fait un événement de la rentrée musicale.

On reste dans le contemporain avec la troisième dame, la jeune Finlandaise Susanna Mälkki, récemment nommée à la tête de la très boulézienne phalange de l’Ensemble Intercontemporain. Elle n’a pas froid aux yeux la petite dame et ferraille ferme devant les super solistes qui composent ce bataillon d’élite spécialisé dans le bel aujourd’hui. Sa direction métronomique ne laisse guère respirer à la viennoise la Sérénade opus 24 d’Arnold Schoenberg, ni filtrer la subtile poésie expressionniste à travers les notes de la série. Mais elle se rattrape allégrement dans une superbe Quasi una Fantasia de György Kurtag. Elle ne peut rien, en revanche, pour sauver d’un académisme moderniste accablant de banalité Etymo de Luca Francesconi.

Alors, comment les femmes conduisent-elles ? Les orchestres comme les voitures ? C’est un peu ça. Ce qui veut dire qu’elles n’ont rien à envier aux mâles. Et vice versa, d’ailleurs. Prudentes, ces dames ? Pas plus que ça : car elles savent prendre des risques calculés. L’expérience, là aussi, porte ses fruits. Exemple Claire Gibault qui témoigne d’une musicalité assise sur une culture autant que sur une gestique impérieuse. L’Anglaise mène ses hommes à la baguette et fonce dans le tas : et ça ne lui réussit pas si mal. Quant à la Finlandaise de la Cité de la Musique, il lui manque encore l’expérience du grand répertoire classique et romantique, qui seule nourrit la découverte des racines de la création. A en juger par sa technique, cette petite bonne femme est un sacré bonhomme ! Vous l’auriez deviné.

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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