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Teo Gheorghiu au 39e Festival Piano aux Jacobins – Harmonie des contraires – Compte-Rendu

Piano aux Jacobins a toujours fait de la découverte des talents nouveaux une priorité, les traitant avec les mêmes égards que les plus célèbres noms du clavier. Quelques jours après l’inauguration de la 39e édition par une légende du piano espagnol, Joaquín Achúcarro (1), un pianiste de 26 ans encore méconnu chez nous, Teo Gheorghiu (photo), prenait place sur la scène du Cloître. Méconnu du public français, à l’exception des fidèles – et ils sont nombreux ! – du festival toulousain (2) : l’artiste suisse en est en effet déjà à sa troisième venue (après 2014 et 2016) aux Jacobins.
Le précédent récital de Gheorghiu (3) m’avait donné l’occasion de saluer les qualités d’un pianiste – d’un artiste d'abord – dont les moyens techniques remarquables, l’imagination sonore et la pertinence des choix viennent de se confirmer lors d’un récital Bach – Debussy ; une rencontre des contraires que l’interprète aura assumé de la plus harmonieuse façon.
 
Pour la toute première fois de sa carrière, Gheorghiu joue les Variations Goldberg en concert et le résultat est là, d’une force, d’une évidence pour le moins saisissantes. Exécution sans les reprises ; moins de 40 minutes au total – si cet exemple pouvait être plus souvent suivi ... A d’autres les poses, les simagrées pseudo-métaphysiques : ce BWV 988 chante et avance ; sans aucune lourdeur, toutes les richesses de l’instrument (quelle subtilité dans la pédalisation !) sont mises au service de la musique. Gheorghiu joue avec partition – « filet de sécurité » bien compréhensible dans ces circonstances – mais sait toujours où il va et force l’admiration par son aptitude à rendre le texte parfaitement lisible et à conduire chacune des voix avec une rare maîtrise. Aucun alanguissement dans les variations lentes, ni crispation dans les plus animées ; tout vit et respire dans un magistral et radieux équilibre. Public tenu en haleine d’un bout à l’autre ; trois rappels avant la pause ; il est des signes qui ne trompent pas ...
Teo Gheorghiu © Oihane Molinero

Place à Debussy ensuite. Plutôt que jouer un Livre de Préludes dans son intégralité, le pianiste a préféré choisir dans chacun des deux et composer un bouquet de dix pièces dont il se sent plus particulièrement proche (Danseuses de Delphes, Les sons et les parfums ..., Des pas sur la neige, La fille aux cheveux de lin, La sérénade interrompue, Minstrels, Feuilles mortes, La puerta del vino, Bruyères, La terrasse des audiences... ). La conception s’avère passionnante, à la fois remarquable d’acuité et intensément secrète. Maître coloriste, Gheorghiu est à son affaire chez Claude de France, fuyant toute dimension anecdotique pour sonder l’au-delà des titres. L’abstraction des Pas sur la neige, le rejet de toute hispanité forcée dans la Puerta peuvent certes surprendre, mais impossible de ne pas céder à la mystérieuse et troublante force d’attraction de Préludes comme immobiles et foisonnants de vie intérieure. En complément le Clair de lune de la Suite bergamasque et l’irrésistible Plus que lente s’avèrent tout aussi convaincants.
Deux bis pour couronner un récital de poète : Sevilla d’Albéniz et Quejas, o la maja y el ruiseñor de Granados. D’évidence, Gheorghiu a beaucoup à nous dire aussi dans la musique espagnole ... 

Alain Cochard

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Toulouse, Cloître des Jacobins, 13 septembre 2018 / 39ème Festival Piano aux Jacobins jusqu’au 28 septembre www.pianojacobins.com

    
(1) www.concertclassic.com/article/joaquin-achucarro-inaugure-le-39e-festival-piano-aux-jacobins-moment-deternite-compte-rendu
(2) Notons que le Piano(s) Festival de Lille a, lui aussi, fait appel à Teo Gheorghiu au printemps dernier.
(3) www.concertclassic.com/article/teo-gheorghiu-au-festival-piano-aux-jacobins-une-emouvante-revelation-compte-rendu

© Oihane Molinero

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