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Yes ! de Maurice Yvain au Café de la Danse - Oui ! éperdument - Compte-rendu

Pour commémorer les 50 ans de la disparition de Maurice Yvain (1891-1965), Les Frivolités Parisiennes et Les Grands Boulevards, deux compagnies attachées à restituer « le répertoire musical parisien », ont la bonne idée de ressortir Yes ! Il s’agit d’une opérette créée à Paris, au Théâtre des Capucines en 1928, sur une musique d’Yvain, un livret de Pierre Soulaine et René Pujol, et des paroles chantées signées Albert Willemetz (grand parolier de chansons et opérettes entre 1920 et 1960). Avouons que nous nous rendions au Café de la Danse davantage mû par la curiosité. Mais c’est presque de révélation qu’il faudrait parler.
 

© Luis Barsiat
 
D’abord pour l’œuvre. La musique d’Yvain, véritable compositeur (à l’inverse d’autres « compositeurs légers », tels les auteurs des musicals et chansons de variétés faisant appel à des supplétifs), n’atteint peut-être pas les sommets inaccessibles. Mais elle se signale par des airs bien tournés, des ensembles ardemment construits et une jolie inspiration, dans un style propre : entraînant et souvent surprenant. La marque d’une vraie personnalité musicale. On ne sait trop, reconnaissons-le, ce qu’il en est du reste de sa production, entre une vingtaine d’opérettes et comédies musicales et quelques chansons. Mais Yes !, sa « meilleure partition de cette décennie », à en croire Christophe Mirambeau l’initiateur du projet, parle déjà suffisamment de son talent, ne serait-ce que celui de trouver des musiques parfaitement en situation.
 
Car la pièce est ébouriffée, qui accumule rebondissements et invraisemblances. Nous sommes à Paris (bien sûr), à l’époque contemporaine (de la pièce), chez un parvenu ayant fait fortune dans le commerce des vermicelles et qui veut marier son fils à une riche héritière venue de Valparaiso. Celui-ci ne l’entend pas ainsi, évidemment (on pense au Molière de Georges Dandin ou Monsieur de Pourceaugnac (1)), et part convoler avec la promise de son cœur en justes noces à Londres. D’où le titre ; qui sacrifie à l’air du temps, bien que le fox-trot et autres rythmes jazziques n’apparaissent pas. Ce rapide résumé fait toutefois l’impasse sur les ressorts nombreux, interventions extravagantes et autres coups de théâtre. Dans une sorte de folie débridée, où l’humour est sans cesse appelé. En complète conformité avec la musique, comme nous disions. Les paroles de Willemetz visent juste, comme les répliques parlées. Pour des airs et thèmes qui s’inscrivent dans la mémoire ; ainsi « Moi je cherche un emploi », chanté à l’époque par la toute jeune Arletty. L’esprit « années folles », entre opéra-comique renouvelé et music-hall.
 
Cela étant, revenir aux sources de cette œuvre disparue du répertoire n’était pas si aisé. Ne restaient que des partitions partielles de versions ultérieures, pour petit orchestre et dues à des arrangeurs postérieurs. Jean-Yves Aizic, ici responsable également de la direction musicale, s’est donc attelé à restituer la version originelle pour deux pianos, d’après les sources puisées par Christophe Mirambeau. Associée à quelques reconstitutions. Le tout dans un sentiment scrupuleux de respect de l’original, en dépit de rares retouches du texte (comme un intempestif « Luis Mariano » lâché au détour de la désopilante chanson « Je suis de Valparaiso »).

© Louis Barsiat

La révélation est aussi du côté du spectacle. La conception et « mise en jeu », comme Mirambeau intitule sa mise en scène, tiennent du miracle. Avec des riens : quelques poufs, des costumes parlants (signés Quentin Gianora), de pétillantes chorégraphies (de Caroline Roëlands) et des lumières choisies (par Houcine Pradinaud). Mais dans un ensemble virevoltant, un jeu criant de vérité de chaque intervenant, sans un instant de relâchement. Sachant que la troupe des treize chanteurs, tout autant excellents acteurs, ne suscite que des éloges pour leurs voix justement profilées et intensément expressives : Sandrine Buendia (venue de l’Académie de l’Opéra-Comique), Léovanie Raud, Karine Godefroy, Guillaume Durand, Vincent Vantyghem, Émilien Marion ; mais aussi Charlène Duval (seule chanteuse fantaisiste, parmi toutes ces cantatrices estampillées, et quelle fantaisie !), Anne-Aurore Cochet, Dorothée Thivet, Claire-Marie Systchenko, Alexandre Martin-Varroy, Jeff Broussoux et Olivier Podesta, puisqu’ils méritent tous d’être cités. Nicolas Royez et Michaël Ertzscheid livrent de leurs doigts virtuoses, pour leur part, un accompagnement pianistique élaboré. On complimentera aussi l’absence totale de microphone, même perfidement caché, et de tout bruit sale de haut-parleur et amplification, vertu rare par les temps qui courent. Yes indeed !
 
On regrettera seulement que le spectacle n’ait été donné au Café de la Danse que pour trois uniques représentations. Devant des salles combles enthousiastes, et annoncé « complet », il est vrai. Ce qui ne peut qu’inciter à souhaiter des reprises, non prévues dans l’immédiat. Avis aux instances musicales et théâtrales de Paris et d’ailleurs !
 
Pierre-René Serna

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  1. Lire notre compte-rendu : www.concertclassic.com/article/monsieur-de-pourceaugnac-au-theatre-de-caen-les-voyages-extraordinaires-du-limougeaud-compte

 
Yvain : Yes ! – Café de la Danse, Paris, 9 janvier 2016.
 
Signalons l’ouvrage de Christophe Mirambeau, Albert Willemetz, Un regard dans le siècle, avec en particulier sept pages fouillées et détaillées sur Yes ! (éd. La Rampe).

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