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Monsieur de Pourceaugnac au Théâtre de Caen - Les voyages extraordinaires du Limougeaud - Compte-rendu

Au Théâtre de Caen revient d’inaugurer la série, destinée à se perpétuer en tournée durant plus de six mois, des représentations de Monsieur de Pourceaugnac, comédie-ballet de Molière et Lully. Le spectacle est une production du Théâtre des Bouffes du Nord, en coproduction avec différentes institutions théâtrales et musicales, par une troupe de comédiens recrutée spécialement par Clément Hervieu-Léger, aidée pour la partie musicale des Arts Florissants de William Christie.
 
Une grande aventure qui mènera les participants à vivre et partager leurs émois sur les chemins itinérants devant différents publics. On songe à ce qu’il en était de la troupe de tréteaux de Jean-Baptiste Poquelin, quand elle voyageait dans le Sud de la France, avant que Molière prenne ses prérogatives à la cour de Louis XIV. Et avant que naisse le genre même de la comédie-ballet. Monsieur de Pourceaugnac appartient à la grande époque florissante de ce genre théâtral qu’avait créé notre auteur en compagnie du Musicien du Roi. L’œuvre, datée de 1669, se situe ainsi au cœur de ce moment, exactement entre Georges Dandin (repris actuellement en tournée également, dans la production de la Comédie-Française créée fin 2014) et Le Bourgeois gentilhomme (donné il y a peu par le Théâtre de Caen et les Bouffes du Nord, dans la mise en scène de Denis Podalydès avec Christophe Coin à la baguette).
 
Sous des dehors de comédie, où le rire est sans cesse appelé, il s’agit de l’une des pièces les plus noires et cruelles de Molière. Pourceaugnac débarque de son Limoge natal dans le Paris des perversions, afin d’épouser la jeune Julie promise par son père Oronte, avec sa naïveté confrontée aux quolibets, moqueries, traquenards et méchancetés de toutes espèces d’individus féroces censés l’accueillir. Une sorte de descente aux enfers, dont la victime ne trouve son salut que dans la fuite, au moment d’un dénouement faussement heureux (les épousailles de Julie avec son jeune amoureux) sans que l’auteur dise ce qu’il adviendra de son sort par la suite. Noir, disions-nous…

© Brigitte Enguerand
 
Hervieu-Léger met l’accent sur cette dimension dans sa mise en scène, transposée dans des années 60 de fabulation (1960 ! et non 1660), même s’il maintient l’esprit de farce appuyée, avec force travestissements : blouses blanches de médecin, bures d’avocat, habits de lumière de torero et falbalas de travelo – des travestis d’homme en femme stipulés par la pièce, qui font s’esclaffer le public. Il bénéficie en cela du rôle-titre incomparable de justesse de Gilles Privat, comédien éprouvé et magnifique diseur dont chaque syllabe se détache. Un art déclamatoire qui devait être celui d’époque. On n’en dirait pas toujours autant des autres acteurs réunis, dans une diction parfois bredouillée (tic du théâtre parlé d’aujourd’hui, y compris dans l’antre de la Comédie-Française dont provient Hervieu-Léger), sauf pour quelques individualités comme Daniel San Pedro (le fourbe Sbrigani) et… Matthieu Lécroart, notre baryton à qui échoit quelques tirades bien senties.
 
Il est vrai que le jeu demandé aux protagonistes, d’un mouvement frénétique incessant, ne leur laisse guère à s’appesantir sur leurs répliques. Jeu qui trouve ce ton de délire, de douce et rude folie, que la pièce requiert. Un décor passe-partout en forme de grises façades de bâtisses stylisées (signé Aurélie Maestre), propice à un spectacle itinérant, des lumières choisies : et le tour est joué, pour une heure quarante menée tambour battant.
 
Dans ce tambour, et tambourin, les Arts Florissants ont leur part. Reclus dans un coin de scène, en petite formation de dix instrumentistes (y compris Bill au clavecin), ils ne se cantonnent pas à la simple figuration musicale. Puisque cette comédie-ballet fait intervenir la musique d’un Lully joyeusement guilleret (environ un tiers de la durée de la pièce), imbriquée dans la dramaturgie, dont elle ponctue les scènes et leurs rebondissements. Sous la direction avisée de Christie, instruments et chanteurs s’impliquent au mieux dans le spectacle. À partir de leurs chants bien placés, le haute-contre Erwin Aros, la basse Cyril Costanzo, la soprano Claire Debono et le toujours efficient baryton-basse Lécroart, se lancent ainsi dans la danse, prennent la parole et se meuvent dans l’ensemble. Entre les autres intervenants, tout autant danseurs qu’acteurs, et même à l’occasion poussant la note en chœur avec une sidérante pertinence. Puisque comédie, musique, chant et danse se mêlent en un tout indissociable. Une gageure, bien tenue.
 Relevons toutefois que ce spectacle signe les adieux au Théâtre de Caen des Arts Florissants, dont la convention qui les unissait à la ville et la région depuis 25 ans prend fin ce 31 décembre.
 
Pierre-René Serna

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Molière/Lully : Monsieur de Pourceaugnac – Caen, 17 décembre 2015.
Prochaines représentations :
7 au 10 janvier 2016 : Opéra Royal / Versailles www.concertclassic.com/concert/monsieur-de-pourceaugnac-0
13 et 14 janvier : Grand Théâtre / Aix-en- Provence
17 et 18 janvier : Teatro Arriaga / Bilbao
21 au 23 janvier : Teatro del Canal / Madrid
27 au 30 janvier : CNCDC / Châteauvallon
2 au 4 février : La Cigalière / Sérignan
12 février : Théâtre de Suresnes - Jean Vilar
23 et 24 février : Forum Meyrin / Genève
26 et 27 février : Théâtre Impérial / Compiègne
2 mars : Théâtre de l’Arsenal / Val-de-Reuil
8 mars : Théâtre Municipal / Chartres
10 mars : Théâtre Luxembourg / Meaux
12 mars : Opéra de Vichy
15 et 16 mars : La Comète / Châlons-en-Champagne
18 mars : Théâtre de Chelles
25 au 27 mars : Grand Théâtre de la Ville du Luxembourg
3 et 4 juin : Théâtre de St Quentin en Yvelines
14 juin au 9 juillet : Théâtre des Bouffes du Nord
www.arts-florissants.com/programmation/monsieur-de-pourceaugnac.html
 
Notez que le Centre national du costume de scène (CNCS) de Moulins propose, du 9 avril au 18 septembre 2016, une exposition sur le thème "Barockissimo ! Les Arts Florissants en Scène" / www.cncs.fr

Photos © Brigitte Enguerand

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