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La Chronique de Jacques Doucelin - La musique à la fête ?

Un quart de siècle après sa création par Maurice Fleuret sous le premier ministère Lang, la Fête de la musique porte toujours aussi beau : elle fait même de plus en plus d’émules à l’étranger. C’est ce qu’a pu annoncer le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres en dévoilant le programme de la 25e édition de cette Fête qu’il a reliée avec à propos à l’Année de la francophonie. N’empêche que cette nuit du solstice d’été en musique ressemble de plus en plus, au fil des ans, à ces journées que notre société de la bonne conscience consacre aux grands problèmes qu’elle ne sait pas trop comment évacuer : de défilés en téléthons, on lutte contre le sida, le cancer et les dépendances de toutes sortes, à commencer par le grand âge. On y pense très fort pendant vingt quatre heures pour mieux les oublier sans remords les 364 jours restants.

Sachant, et pour cause, se faire entendre, la musique n‘en est sans doute pas encore là. Encore faut-il savoir de quelle musique on parle. La plus bruyante, la moins fatigante, la plus consensuelle parce que la plus répétitive et la plus pauvre rassemble les foules qui lui permettent de s’épanouir et de mener grand train. Cousine des sports de masse, elle génère elle aussi d’énormes profits que se partagent les dernières multinationales du disque : langage universel, la musique était prédestinée à la mondialisation. Il en va tout autrement de la musique dite classique, ou sérieuse comme la qualifient nos politiques de tous bords avec cet air à la fois condescendant et navré qui pour un peu susciterait un sentiment de culpabilité chez ceux qui ont le malheur de l’apprécier.

Pour les responsables de l’administration française qui s’y frottent, elle souffre d’une tare indélébile : son caractère bourgeois, voire élitaire, ou carrément ennuyeux. Tel est le résultat aberrant de l’absence de sensibilisation musicale dans l’enseignement général français que nos élites politiques actuelles, très mal formées par rapport à leurs aînés – sait-on que le président de l’Assemblée nationale et maire radical de Lyon Edouard Herriot avait écrit un livre sur les quatuors de Beethoven ? - considèrent la musique classique comme un plaisir qui ne se partage pas.

Si je vous dis tout cela, ce n’est pas par parti pris personnel, mais parce que deux personnalités majeures de notre vie musicale nationale m’ont avoué, très récemment, leur mal au cœur devant la situation faite à la musique classique et à l’opéra dans notre pays qu’ils ont osé comparer à nos voisins européens. A 81 ans, Pierre Boulez n’en est pas à un coup de gueule près ! Quant à Jean-Pierre Brossmann, qui quitte, à 65 ans, la direction du Châtelet à la fin de cette saison, il fait ses valises pour prendre sa retraite au Maroc, bien décidé à oublier l’inculture généralisée de l’oligarchie qui prétend gouverner l’hexagone.

Ce qui devrait donner matière à réfléchir, c’est que les deux hommes, au parcours pourtant très différent – un chef d’orchestre international doublé d’un compositeur célèbre et un ancien baryton devenu manager d’Opéra -, aboutissent exactement au même constat. Tous deux se plaignent, en effet, du manque d’intérêt des représentants de leurs tutelles à l’endroit de la chose musicale. Brossmann dénonce ainsi le vertige de la facilité qui s’empare des élus en mal de voix pour assurer leur réélection, mais aussi le manque de connaissances des hauts fonctionnaires. Pour Boulez, il n’est pas question de baisser les bras. Et il fait ses comptes pour alimenter son cahier de doléances : « pas de doute qu’en France, et ça ne date pas d’hier, on fait beaucoup plus pour les musées que pour la musique », affirme-t-il. Et le maestro de compter : Le Grand Louvre mené à bien après le Centre Georges Pompidou et le Musée d’Orsay, pour ne pas parler de la construction de celui des Arts Premiers par Jean Nouvel. « Côté musique, on a construit l’Opéra Bastille et une Cité de la Musique inachevée avant de rafistoler Pleyel : c’est un peu court ! »

Même unanimité sur les causes que pour le diagnostic : si nos décideurs de tout poil ont peur de la musique classique, c’est qu’on ne l’enseigne pas à l’école et au lycée comme il conviendrait. Là, on rigole un peu de voir Boulez rejoindre, post mortem, son ennemi intime Marcel Landowski ! Car sans l’action décidée de ce dernier lorsqu’il créa la Direction de la musique au début des années 70, la situation du classique serait encore plus catastrophique en France. Le maillage du pays en Orchestres et en Opéras de région ainsi qu’en conservatoires et écoles de musique ont réussi à pallier, dans une certaine mesure seulement, les défaillances criantes de l’enseignement général. Brossmann se dit très inquiet sur l’avenir de la vie culturelle française. Pour Boulez, vieux baroudeur de la modernité, la cause est claire : il faut se bagarrer. A bon entendeur, salut !

Jacques Doucelin

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Photo : DR

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