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Cendrillon de Wolf-Ferrari par l’Opéra Studio de L’OnR – Entre noirceur et onirisme – Compte-rendu

Développer une politique jeune public est désormais chose courante dans toutes les maisons d’opéra, mais il faut reconnaître que l’Opéra national du Rhin fait sur ce point montre d’une inventivité particulière par la volonté de son directeur Marc Clémeur. Le féerique Aladin et la lampe merveilleuse de Nino Rota mis en scène par Waut Kooken a ainsi inauguré en 2009 une série qui, chaque année, propose une partition rare (1) confiée aux voix de l’Opéra Studio (la structure de formation de jeunes chanteurs de l’OnR).
 
Après La Belle au bois dormant de Respighi l’an dernier, le choix s’est à nouveau porté sur un auteur italien avec la Cendrillon d’Ermanno Wolf-Ferrari (1878-1946). Première réalisation lyrique du compositeur, Cendrillon échoua lors de sa création en 1900 à Venise, à la différence de la reprise, très applaudie, de l’ouvrage en langue allemande à Brême deux ans plus tard. Pour Brême encore, Wolf-Ferrari remania sa partition en 1937, livrant une nouvelle version – sous le titre Aschenbrödel ou Aschenputtel - où Franz Rau faisait basculer le livret originel de Maria Pezzé-Pascolato, inspiré de Perrault, du côté de la version du conte par les Frères Grimm.
 
Le cahier des charges des productions jeune public de l’OnR exige des spectacles en une partie d’une durée d'environ 75 minutes, en langue française, et avec un effectif orchestral réduit. C’est donc dans une arrangement de Douglas Victor Brown que l’on a découvert en création française (Vincent Monteil s’est chargé de la traduction du livret) l’ouvrage de Wolf-Ferrari, le regret de ne pouvoir l’entendre dans son intégralité étant compensé par la présence à la régie de Marie-Eve Signeyrole, avec comme toujours à ses côtés Fabien Teigné pour les décors et la vidéo. Après les réussites d’un duo dont la réputation croît on ne peut plus légitimement - on se souvient d’Owen Wingrave à Nancy(2), de « L’Affaire Tailleferre » à Limoges (3), du Monstre du labyrinthe au Festival d’Aix l’été dernier (4) - leur Cendrillon attisait la curiosité. Une proposition, un peu déroutante de prime abord certes, mais pleinement assumée, comme toujours avec ces artistes.
 
© Alain Kaiser

Marie-Eve Signeyrole a choisi de tirer les conséquences du caractère cruel, sanglant du conte par les Grimm (pieds mutilés, yeux crevés…) : exit tout côté cucu-la-praline ; la musique de Wolf-Ferrari ne s’y prête guère d’ailleurs. On est à Berlin après la construction du mur : Prince (tendance gothique) à l’Ouest, Princesse (au look plutôt rock) à l’Est ; une Princesse qui n’existe d’ailleurs probablement que dans l’imagination du Prince … Deux adolescents mélancoliques et sombres en quête d’eux-mêmes.
 
Réalisées avec peu de moyens, la scénographie inventive et mobile, pleine de tags et de grafs, de Fabien Teigné fait toujours corps avec le propos général et le déroulement de l’œuvre dans cette version « concentrée ». La chanson Bang Bang popularisée par Nancy Sinatra, quelques accords de guitare électrique, des bruits de sirène, une ambiance de boîte de nuit pour le bal participent par ailleurs d’une mise en scène vivante et finement réglée.
 
Une fois de plus à l’Opéra Studio, il convient de louer l’esprit de troupe avec lequel les jeunes chanteurs s’investissent dans le spectacle qui leur est proposé. Francesca Sorteni (Cendrillon) et Camille Tresmondant (qui tient le rôle du Prince en alternance avec Diego Godoy-Gutiérrez) se glissent de touchante façon dans leurs personnages d’ados pleins de doutes et de mélancolie. Coline Dutilleul offre une assez fascinante Marâtre – chauve et… très portée sur le botox ! - Rocío Pérez (Anastasie) et Gaëlle Alix (Javotte) campent pour leur part deux parfaites petites pestes. Même si les rôles demeurent modestes, l’Ami de rallye et l’Ami d’enfance du Prince, respectivement tenus par Jaroslaw Kitala (baryton-basse) et Nathanaël Tavernier (basse) montrent deux belles personnalités, sur le plan tant vocal que scénique. Savoureuse composition enfin que celle d’Emmanuel Franco (baryton) dans le double emploi du Fou et du Journaliste ; elle apporte des touches d’humour et de drôlerie dans cette sombre Cendrillon.
 
Vincent Monteil (Directeur musical de l’Opéra Studio de Colmar) mène l’Ensemble orchestral de l’Académie supérieure de musique et du conservatoire. Relief, élan, sens des atmosphères, soin apporté à une écriture souvent très « serrée » et complexe : les jeunes instrumentistes et leur chef apportent une contribution de taille au succès d’un spectacle que l’on retrouvera en janvier à Strasbourg puis à Colmar. Il ne pourra que se bonifier au fil des représentations.
 
Alain Cochard

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(1) Il peut aussi s’agir d’un ouvrage contemporain comme ce fut le cas en 2012 avec la Blanche-Neige de Marius Felix Lange (m.e.s. W. Koeken)
 
(2) www.concertclassic.com/article/owen-wingrave-de-britten-nancy-onirisme-et-engagement-compte-rendu
 
(3)www.concertclassic.com/article/laffaire-tailleferre-lopera-theatre-de-limoges-germaine-la-barre-compte-rendu
 
(3)Lire le CR : www.concertclassic.com/article/le-monstre-du-labyrinthe-au-festival-daix-captivant-compte-rendu

Wolf-Ferrari : Cendrillon – Colmar, Théâtre municipal, 16 décembre 2015, prochaines représentations (à Strasbourg - CMD) les 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 17 janvier, puis à Mulhouse (La Sinne) les 29, 30 et 31 janvier 2016  / www.operanationaldurhin.eu/opera-2015-2016--cendrillon.html
 
NB : Comme de coutume, le spectacle de l'Opéra Studio est prétexte à publication d'une ouvrage tout spécialement destiné au jeune public. C'est Antoine Bouteiller qui, cette fois, s'est chargé de la rédaction et des illustrations d'un livre bien évidemment dédié à Cendrillon (5 €)
 
Photo © Alain Kaiser

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