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Le Monstre du labyrinthe au Festival d'Aix - Captivant - Compte-rendu

Moderne, l'art lyrique ? La réponse qu'apporte cette année le Festival d'Aix-en-Provence ne laisse aucun doute : oui, l'opéra a son rôle à jouer aujourd'hui, il peut parler de notre temps en convoquant les grands mythes qui peuplent notre culture et surtout il sait provoquer l'enthousiasme des interprètes comme du public. Après Svadba d'Ana Sokolović (1), la 67e édition du festival met à l'affiche un deuxième opéra contemporain, et c'est une autre réussite, qui vient souligner le flair dont fait preuve Bernard Foccroulle, le directeur du festival, et surtout la pertinence de sa réflexion sur l'évolution du genre « opéra ».
 
Le Monstre du labyrinthe est, d'abord, un projet passionnant. Commandé par les Berliner Philharmoniker, le London Symphony Orchestra et le Festival d'Aix-en-Provence, à l'initiative de Sir Simon Rattle, il s'agit d'un opéra « participatif » (« community opera »), mêlant musiciens professionnels (le London Symphony Orchestra) ou futurs professionnels (l'Orchestre des Jeunes de la Méditerranée) et choristes amateurs. Après deux versions semi-scéniques à la Philharmonie de Berlin puis au Barbican Centre de Londres, le Grand Théâtre de Provence accueillait la première production véritablement mise en scène, toujours sous la direction de Simon Rattle.
 
Ce qui ressort en premier lieu de cet opéra tiré du mythe de Thésée et du Minotaure, c'est sa simplicité narrative, la limpidité du livret d'Alasdair Middleton conservée par la traduction française d'Alain Perroux. Jonathan Dove, le compositeur, parle d'un « opéra d'aventure » et c'est exactement ce qu'est Le Monstre du labyrinthe : un récit haletant, dont la musique soutient parfaitement l'action (et le chant) des personnages. La partition de Jonathan Dove ne recherche pas l'originalité et ne se prive pas de quelques effets d'orchestration spectaculaires façon Orff ou Stravinsky. En tout cas, cette musique se montre parfaitement efficace, tout en combinant agilement les niveaux de difficulté pour se mettre à la portée de chanteurs amateurs de tous âges, égalant dans ses meilleurs moments la qualité des opéras pour enfants de Britten. Beaucoup de notes répétées donc, et des figures rythmiques relativement simples et récurrentes, qui donnent aux parties chorales des allures de chansons, alors que les solistes – le ténor Damien Bigourdan, vaillant Thésée, et Lucie Roche, sa mère, aux accents plutôt véristes – suivent davantage les conventions du grand opéra. Mais toujours chaque mot reste clairement compréhensible.
 
 

© Vincent Beaume

On rêve que nombre d'opéras trouvent un livret aussi captivant, capable à la fois de réactiver un mythe dans une langue claire et de le faire résonner avec le monde d'aujourd'hui. Difficile par exemple de ne voir qu'un mythe lointain quand Minos, cruel roi de Crète (rôle parlé, incarné avec beaucoup de conviction par Miloud Khetib), proclame les « conditions imposées aux Athéniens » – à savoir le sacrifice de la jeunesse – comme prix de leur défaite. Marie-Ève Signeyrole, en tout cas, s'en est saisi avec une parfaite intelligence : de véritables idées de mise en scène – aucun geste gratuit – allant toujours dans le sens conjoint d'une compréhension du mythe et d'une inextinguible tension dramatique. Les trois cents choristes sur scène (qui campent le peuple et les enfants d'Athènes et de Crète) ne sont jamais un problème. Au contraire, leur apparition et leur effacement, mouvements toujours d'une grande précision, renforcent la force des sentiments véhiculés par le texte et la musique : particulièrement réussie est la scène du retour des adolescents, qui entourent peu à peu le public alors que les attendent sur scène les chœurs des adultes et des enfants.
 
L'utilisation de la vidéo participe aussi à la vivacité de la mise en scène, avec, au premier acte, cette caméra immergée dans la foule, dont les images projetées dédoublent la tension. Au second acte, l'un des moments les plus forts de l'opéra est l'entrée dans le labyrinthe de Thésée et des jeunes Athéniens. Ils parcourent le labyrinthe dont les murs sont formés des victimes du Minotaure (et donc constitués sur scène par les choristes), tandis qu'en fond de scène apparaît le labyrinthe filme du ciel – clin d'œil probable au Shining de Stanley Kubrick – qui d'un seul coup montre l'immensité du palais-piège bâti par Dédale. Ingénieuse toujours, l'idée de représenter le combat de Thésée et du Minotaure à travers un film d'animation, la foule sur scène encourageant son héros.
 
À l'unisson de cette production magnifique, Simon Rattle porte à l'incandescence la musique qui sort de la fosse d'orchestre et se montre un parfait guide pour l'ensemble des chanteurs, particulièrement enthousiastes au moment des saluts. Tous peuvent être fier du travail accompli.
 
Jean-Guillaume Lebrun

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(1) Lire le CR : http://www.concertclassic.com/article/svadba-dana-sokolovic-en-creation-europeenne-au-festival-daix-en-provence-mariage-et
 
Jonathan Dove : Le Monstre du labyrinthe – Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, 8 juillet 2015.
http://www.festival-aix.com
 
Photo © Vincent Beaume

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