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Yuja Wang et le Mahler Chamber Orchestra au Festival international de Colmar 2025 – Festin concertant – Compte rendu

Comme depuis le démarrage de l’édition 2025 du Festival international de Colmar, le public est au rendez-vous en nombre le 9 juillet à l’église Saint-Matthieu, centre de gravité de la manifestation. « Cherche une place » : ceux qui n’ont pas pu se procurer le précieux sésame tentent leur chance devant le porche, espérant parvenir à écouter Yuja Wang, qui fait étape dans la cité alsacienne avec le Mahler Chamber Orchestra.

© FIC – Bertrand Schmitt
Plutôt Chopin que Kapustin
On attendait la pianiste dans le 4e Concerto de Nikolaï Kapustin ; le lieu dans lequel se déroule la soirée l’a amenée à renoncer à cet ouvrage d’une jazzistique exubérance – le mot est faible – pour lui préférer le Concerto n° 2 de Chopin, tout en conservant le Concerto n° 1 de Tchaïkovski prévu en seconde partie. La soirée demeure donc un véritable festin concertant. De l’archi-connu d’un bout à l’autre certes, mais nul ne saurait s’en plaindre quand on affaire à une soliste et un orchestre de ce calibre.
Phénoménale maîtrise du clavier
Beethoven et son Ouverture de Coriolan, emmenée avec feu et plénitude par José Maria Blumenschein, remarquable Konzertmeister du MCO, donne le ton d’une soirée où pas l’ombre du commencement d’un instant de temps mort ne se sera glissé. Passons sur la gestuelle quelque peu symbolique de Yuja Wang, annoncée à la direction et au piano, pour mieux saluer le résultat auquel elle parvient au clavier. On l’a mille fois entendu ce Fa mineur de Chopin... et pourtant tout ici paraît neuf, incroyablement jaillissant. Aucune licence, aucun « « truc » sous les doigts de la soliste ; seulement, si l’on peut dire, une maîtrise du matériau sonore, un contrôle de la dynamique et des couleurs proprement phénoménaux. Ils laissent pantois, comme la pédalisation, d’une subtilité qui force d’autant plus l’admiration que les talons sont hauts (!). On mesure aussi le professionalisme d'une artiste capable de s'adapter à une acoustique qu'elle expérimente pour la première fois de sa carrière. Concerto n° 2 ? Le premier dans l’ordre de composition en fait ; la musique d’un adolescent dont Yuja Wang parvient à retrouver l’enthousiasme ; à poétiser chaque note, chaque trait avec une qualité de legato qui magnifie l’essence belcantiste de la partition. Somptueux et irrésistible !

© FIC – Bertrand Schmitt
Une incandescente classe
Place à la musique russe en seconde partie avec d’abord le trop rare Octuor pour instruments à vents de Stravinski par quelques uns des excellents souffleurs du MCO. Une vision vivante, pleine de fruit et de relief – et, accessoirement, une occasion pour les participants de se chauffer avant d’attaquer le fameux Opus 23 de Tchaïkovski.
Comme le Chopin qui précédait, c’est là l’un des concertos les plus courus du répertoire romantique et, comme dans l’Opus 21 du Polonais, Yuja Wang subjugue par sa capacité à fouiller le texte et à en exploiter tous les contrastes, toutes les nuances. Les membres du Mahler Chamber Orchestra suivent comme un seul homme leur soliste, flamboyante, totalement engagée, mais jamais brouillonne, ni emphatique. Avec quel art parvient-elle à sonder les moments de poésie du premier mouvement sans nullement en freiner le flux. À quel degré d’impalpable virtuosité parvient-elle dans le Prestissimo central de l’Andante semplice (certes pas le moment le plus spectaculaire de l’œuvre mais sans nul doute le plus révélateur du niveau de piano auquel on se situe). À quelle ivresse musicale partagée – les regards complices entre les instrumentistes en disent long à ce sujet – nous convie-t-elle dans le finale. Un festin, oui, qui se conclut par une fête des sons d'une incandescente classe.
Une soirée plus que chaleureusement accueillie, d'emblée inscrite dans les annales du festival, que referment deux bis : l’Etude op. 76 n° 2 de Sibelius, d’un staccato délicatement scintillant, et l’Air d’Orphée de Gluck/Sgambati – morceau cher on s’en souvient au regretté Nelson Freire – servi par confondant art du sfumato. Quelle musicienne ...
Alain Cochard

Colmar, Eglise Saint-Matthieu, 9 juillet 2025
Photo © FIC – Bertrand Schmitt
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