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La Messe pour deux chœurs et deux orgues de Widor à Saint-Sulpice – Affluence record et grand frisson – Compte-rendu

 
 

« De mémoire d’organistes "historiques" », pour citer Pierre-François Dub-Attenti, président de l’Aross, « on n’avait jamais vu autant de monde à Saint-Sulpice » : quelque 2500 personnes, auxquelles s’ajoutait le public de la diffusion en Live stream (1) – la régie audio et vidéo de Saint-Sulpice (depuis le soubassement du grand buffet) s’est fait une réputation sans rivale d’excellence. Soit beaucoup plus que pour l’inauguration du Cavaillé-Coll « relevé » par la Manufacture Renaud (car jamais le grand orgue, depuis 1862, n’a été véritablement « restauré »), concert il est vrai redonné deux jours plus tard (18 et 20 octobre 1991).

 

© a.thiallier - athipic

De considérables forces chorales

Une telle affluence tient aussi à la présence de forces chorales considérables (et aux familles : une constante du monde choral), dont des enfants de CM1-CM2. Tous guidés par Catherine Simonpietri à la tête de son Ensemble Vocal Sequenza 9.3, qui avaient grandement contribué au Concours de composition 2021 de Saint-Sulpice (2), l’une des initiatives de l’« Association pour le rayonnement des orgues Aristide Cavaillé-Coll de l’église Saint-Sulpice » qui lui valent aujourd’hui nombre de partenariats prestigieux, comme ici avec l’Institut Polonais, l’Académie des Beaux-Arts ou la Fondation Notre-Dame.
 
Numériquement, les chœurs restituent l’effectif dont Charles-Marie Widor disposait à Saint-Sulpice et pour lequel, encadré des deux orgues Cavaillé-Coll de cette plus grande église de Paris après Notre-Dame, il a spécifiquement conçu sa monumentale Messe op. 36 (archétype qui inspira Vierne, dont la Messe sera donnée à Saint-Sulpice le 15 août avec le Worth Abbey Choir, Léonce de Saint-Martin ou Jean Langlais). Contemporaine des Symphonies n°5 et 6 (v.1878 – une première édition aurait alors vu le jour, mais on trouve aussi 1885 et 1890 comme année de parution : la datation pour Widor, qui ne tenait pas de catalogue, n'est pas une mince affaire !), la Messe requiert deux chœurs. Soit à l’époque les deux cents voix des séminaristes du Grand Séminaire, alors tout à côté, place Saint-Sulpice, et les quarante de la Maîtrise, depuis longtemps disparue mais dont La Sapience, jeune ensemble vocal créé en 2023 et dirigé par Pierre Isabellon, partie prenante de ce concert et en résidence à Saint-Sulpice, tente de faire revivre la tradition.
 
La partition spécifie pour le premier chœur « Barytons », pour le second « sopranos, contraltos, ténors, basses ». En termes de tessitures, ce dont Widor disposait sous-entend une majorité écrasante de voix d’hommes, cependant que les différents chœurs amateurs réunis à Saint-Sulpice le 18 mai (250 choristes) sont naturellement des chœurs mixtes : Grand Chœur d’Aubervilliers (Catherine Simonpietri), Chorales Hatier et Silencio (Paris et Bagneux/Malakoff, Xavier Margueritat), Chœur d’adultes du Conservatoire de Noisy-le-Grand et EVOC – Ensemble Vocal Création (Camille Coillet-Barthés), École Joséphine Baker de la Courneuve (chœur d’enfants préparé par Alice Fagard).

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© a.thiallier - athipic

 
Des conditions mirifiques de restitution

 
Monumentale et à grand frisson, mais concise (environ 16’). L’usage veut que les cinq parties de la Messe soient étoffées d’un prélude et d’interludes improvisés au grand orgue, ce que Karol Mossakowski fit dans une remarquable continuité stylistique. Les deux orgues y alternent et se répondent, celui de tribune ponctuant de façon grandiose, celui du chœur – touché par son nouveau titulaire, Axel de Marnhac, qui a donné son concert d’accueil le 2 mars – accompagnant à proprement parler les voix. Nul doute, contexte et conditions mirifiques de restitution aidant, l’œuvre fit grande impression, de la splendeur des Kyrie et Gloria aux notes plus intimistes des sections suivantes, avec voix d’enfants pour l’Agnus dei final.
 
Ebouriffant carillon « alléluiatique »
 
Changement de proportions, sans renoncer à la grandeur par la complexité même des textures vocales, avec la suite du programme, de prime abord a cappella, confiée aux seize voix de Sequenza 9.3 : O sacrum convivium (1937) de Messiaen, Regina Coeli (des Trois Motets, v.1962) du jeune Daniel Roth, imposant et complexe Sanctus (2007) de Thierry Escaich, Ubi caritas et amor (des quatre Motets op. 10, 1960) de Maurice Duruflé. Ces mêmes seize voix mixtes furent rejointes par les deux orgues pour la création d’une œuvre commandée expressément pour ce concert : Visages célestes de Karol Mossakowski, sur deux Psaumes contrastés et en français – structure en multiples sections de la première partie sur le Psaume 135, fervente litanie sur Rendez grâce au Seigneur : il est bon, éternel est son amour !, ébouriffant carillon « alléluiatique » pour ainsi dire d’un seul tenant sur le Psaume 95 : Chantez au Seigneur un chant nouveau.
 
Sous la houlette unificatrice de Catherine Simonpietri

 
L’ensemble des intervenants, au premier rang desquels les enfants de La Courneuve, furent une dernière fois réunis : célèbre choral Jesus bleibet meine Freude de la Cantate BWV 147 de Bach. Singulier miracle de la musique, en particulier chorale, que de pouvoir ainsi agréger en un lieu de prestige si chargé d’histoire des musiciens professionnels et amateurs venant d’horizons différents, tant du cœur de la Ville Lumière que d’une « périphérie » assurément éloignée sociologiquement du Saint-Sulpice du temps de Widor, et qui n’en servent pas moins sa musique avec panache et conviction sous la houlette unificatrice d’une Catherine Simonpietri pleinement investie.

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L’unique enregistrement de la
Messe de Widor de retour

 
 Un bonheur n’arrivant jamais seul, ce concert s’accompagne de la reprise par l’Aross (3) du seul enregistrement réalisé à Saint-Sulpice de la Messe de Widor, redonnée à intervalle fluctuant : la dernière fois en 2012, mais aussi en 2005, quand fut gravée cette version initialement publiée par le label américain JAV [initiales du producteur Joseph Anthony Vitacco III] Recordings. La Messe s’insère dans une magistrale reconstitution d’un office solennel à Saint-Sulpice, avec pages vocales de Lefébure-Wely et Widor mais aussi de Philippe Bellenot (1860-1928 – organiste de chœur à Saint-Sulpice dès 1879 avant de prendre la tête de la Maîtrise en 1884 et jusqu’à sa mort), avec nombre d’improvisations grand format de Daniel Roth.
 
Michel Roubinet
 

 
Paris, église Saint-Sulpice, 18 mai 2025
www.aross.fr/evenement/concert-evenement-choeurs-orgues/
 
Prochain concert de l’AROSS, le 8 juin :
Paul Goussot, titulaire du Dom Bédos-Quoirin de l’abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux
 
 
(1) Vidéo du concert
www.youtube.com/live/DpqSGVYpspo
 
(2) Concours de composition 2021
www.concertclassic.com/article/finale-du-concours-de-composition-saintsulpice2021-un-evenement-au-retentissement
 
(3) Messe de Widor, CD Aross
www.aross.fr/produit/cd-messe-widor/
 

Photo ©
 

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