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Finale du Concours de composition #SaintSulpice2021 – Un événement au retentissement international – Compte-rendu

 
Parmi les grandes tribunes parisiennes, Saint-Sulpice fut, au lendemain du premier confinement, l'une des premières à renouer avec le concert, avec ou sans public (selon les périodes), relayé en streaming et accessible en replay, sans cesser depuis lors de rester présente dans la vie musicale de la capitale, et de facto bien au-delà. En guise de coup d'envoi, Sophie-Véronique Cauchefer-Choplin donnait le 5 juillet 2020 (1) le concert prévu le 15 mars, inévitablement reporté : improvisations sur Voici l’Homme de Jean-Pierre Nortel (1929-2015), écrivain inspiré par Bernanos, Claudel et Péguy, aumônier des artistes et auteur d'une autobiographie : Saltimbanque de Dieu (Presses de la Renaissance, 2005). Le texte était lu par la comédienne Pauline Choplin, cependant que des toiles de Veronica von Degenfeld illustrant la Via crucis étaient projetées.
 
Outre les concerts, la grande idée de l'AROSS – Association pour le rayonnement des orgues Aristide Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice –, désireuse de fêter en beauté ses 30 ans (1991, année de l'achèvement du relevage du grand orgue par la maison Renaud, Nantes), aura été le Concours international de Composition pour Orgues et Voix #Saint-Sulpice2021 (2), deux catégories étant proposées : œuvre pour grand orgue ; œuvre pour orgue de chœur et voix. Les derniers concours français de composition pour orgue remontaient déjà à une dizaine d'années : Saint-Bertrand de Comminges en 2010 ; autour du nouvel orgue Quoirin de la cathédrale d'Évreux en 2011 (Prix Guillaume Costeley). À noter qu'un concours européen se tiendra l'année prochaine au Luxembourg, à Dudelange (3), dont la finale aura lieu le 22 octobre (orgue seul ; orgue et bande magnétique). Le projet de Saint-Sulpice était animé du « désir de promouvoir la création musicale, la jeunesse et le patrimoine instrumental de l'église Saint-Sulpice », conception, organisation et déroulé s'étant pour ainsi dire joué des contraintes du moment : une promesse tenue de continuité musicale par-delà la pandémie.
 

L'orgue Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice © Mirou
 
 
Composer en fonctions des deux orgues de Saint-Sulpice
 
Il s'agissait, spécifiquement, de composer pour et en fonction des deux orgues Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice : orgue de chœur (1858, revu en 1868, restauré par Picaud en 1981), orgue de tribune (1862, 4). Comme il va de soi que les nombreux candidats, qui plus est par temps de Covid, n'auraient pu bénéficier de séances aux claviers des instruments leur permettant d'en connaître toutes les ressources, l'AROSS a proposé en ligne, sous forme de vidéos, d'amples démonstrations interactives des sonorités des deux instruments : les 21 et 28 novembre 2020 par Daniel Roth puis Sophie-Véronique Cauchefer-Choplin pour le grand orgue (5) ; le 1er mai 2021 par Louis Jullien et Daniel Roth pour l'orgue de chœur (6), avec la participation de Catherine Simonpietri, qui dirige l'Ensemble vocal Sequenza 9.3 chargé d'interpréter les œuvres vocales lors de la finale. Une somme d'informations sonores, esthétiques et techniques à destination des candidats compositeurs, mais aussi pour tout amateur de facture d'orgue, notamment de Cavaillé-Coll.
 
 
111 partitions en lice

Impossible de se faire une juste idée de l'énorme machine que représente un tel Concours, en particulier s'il est à ce point couronné de succès ! Honneur au président de l'AROSS, Pierre-François Dub-Attenti (16-8-4 Productions), et à sa précieuse équipe, tous ayant fourni un travail de longue haleine exceptionnel, ainsi que la finale ne put que l'attester. Preuve du succès : pas moins de 72 partitions pour orgue seul furent reçues, 39 pour orgue et voix, les compositeurs, de 18 à 68 ans, dont une quinzaine de femmes, représentant 22 nationalités. Présidé par Philippe Hersant, le jury comprenait Martina Batič, cheffe invitée principale du Chœur de Radio France (Slovénie) ; Estelle Lowry, directrice de la Maison de la musique contemporaine (France) ; Kaija Saariaho, compositrice (Finlande) – qui ne put assister à la finale mais en suivit les épreuves à distance, prenant ainsi part au vote ; Yves Castagnet, titulaire de l'orgue de chœur de Notre-Dame de Paris, compositeur (France) ; Bernard Foccroulle, organiste et compositeur (Belgique) ; Thomas Lacôte, compositeur, titulaire de l'orgue de la Trinité à Paris (France). 

Dans le plus strict anonymat
 
Quatre œuvres concouraient dans l'une et l'autre catégorie lors de la finale du 21 novembre – présentée par Clément Rochefort (France Musique) –, toutes jouées dans le plus strict anonymat : les œuvres étaient nommées, pas leurs compositeurs, jusqu'au palmarès (d'où l'impossibilité de les créer eux-mêmes). La régie vidéo amplement déployée et parfaitement aguerrie de Saint-Sulpice étant de première grandeur (et les épreuves naturellement diffusées en direct sur YouTube), l'assistance suivaient les interprètes sur grand écran. Le joli programme imprimé pour la circonstance permettait de prendre connaissance de l'argumentaire rédigé par chacun des compositeurs retenus (uniquement des hommes). Tout d'abord, s'agissant de la première partie de la finale : les œuvres pour orgue seul, trois approches hautement « conceptuelles », avec comme souvent la difficulté de retrouver dans la musique l'idée développée à travers les mots, puis une dernière plus humainement accessible – tout comme l'œuvre en question. À la différence du jury, qui dispose des partitions et peut, également d'expérience, juger et apprécier en profondeur la structure des œuvres, le public ne peut se fier qu'à l'écoute unique de la création, sans autre préparation ni réelle connaissance des étapes préliminaires du Concours. Sans surprise, perception et réception des œuvres par le jury et par le public ne pouvaient que diverger, sachant que l'avis du public, serait-il moins autorisé ou foncièrement compétent, reste primordial puisque c'est (aussi) pour lui que l'on compose.
 
Andrea Damiano Cotti Premier Prix orgue seul

 
Pour l'une et l'autre catégorie, s'ajoutaient aux deux récompenses décernées par le jury celles du public et des internautes (cette dernière financée par leurs dons). Le Prix du Public et le Prix des Internautes revinrent, dans la catégorie « Grand orgue », à 406 Years Later – Toccata pour orgue de Gabriele Agrimonti (le quatrième compositeur évoqué, par ordre de présentation/audition) ; le Deuxième Prix à Taphos nomos – Hommage à Messieurs Clicquot et Cavaillé-Coll – Pour l'orgue de Saint-Sulpice, de Jean-Emmanuel Filet ; le Premier Prix (qui s'accompagne d'un contrat d'édition chez Billaudot) à Marée, qui rassembles les horizons (poème d'Antonin Artaud), d'Andrea Damiano Cotti (photo). Les œuvres de Filet et Cotti avaient été jouées au grand orgue par Shin-Young Lee, celles de Thomas Kientz : Illuminatio Mea, et de Gabriele Agrimonti par Yoann Tardivel (qui prêtait une troisième main à Marée de Cotti).
 

Pierre-Alain Braye-Weppe © DR
 
Pierre-Alain Braye-Weppe Premier Prix orgue de chœur et ensemble vocal

 
L'interprétation des œuvres pour « Orgue de chœur et ensemble vocal » – Sequenza 9.3 dirigé par Catherine Simonpietri (en l'occurrence huit chanteurs) –, conformément à l'un des axes du Concours, fut accompagnée par quatre jeunes organistes, parfaits d'aisance, prometteurs et aux profils très divers, successivement : Alma Bettencourt, Alexis Grizard, Louis Jullien (titulaire-adjoint de l'orgue de chœur), Mélodie Michel (7). Pourvues d'une partie d'orgue plus développée ou saillante, les deux dernières œuvres, les quatre étant aussi différentes que globalement captivantes, semblèrent emporter l'adhésion de l'assistance. De nouveau sans surprise, le Prix du Public fut attribué à Laurent Coulomb (n°4) pour O Gloriosa Domina, le Prix des Internautes à Pierre-Alain Braye-Weppe (n°3) pour Versa est in luctum ; le Second Prix à Alessio Ferrante (n°2) pour Lux, le Premier Prix (dénommé Prix de la Fondation Francis et Mica Salabert), rejoignant l'avis des internautes, à Pierre-Alain Braye-Weppe – l'œuvre du Polonais Dominik Puk (n°1) Tantum ergo Sacramentum, peut-être desservie par cette pole position, n'ayant pas eu les honneurs du palmarès tout en forçant le respect, à l'instar de celle de Thomas Kientz dans la première catégorie. Chacun se forgera sa propre opinion, plutôt public ou plutôt jury, sur le site du Concours (8), lequel renvoie à trois vidéos YouTube : épreuves « Grand orgue » et « Orgue de chœur et ensemble vocal », puis remise des Prix, également animée par Clément Rochefort.
 
 

Louis Vierne par Daniel Roth
 
Un bonheur n'arrivant jamais seul, la tribune de Saint-Sulpice avait connu en début d'année un autre événement qui, à n'en pas douter, aura contribué à ce que les candidats compositeurs puissent se faire une idée musicale des plus justes des possibilités du grand orgue de la plus vaste église de Paris après Notre-Dame : la parution d'un premier Blu-Ray produit par l'AROSS (9), intitulé Daniel Roth joue Louis Vierne à Saint-Sulpice (lequel y fut suppléant de Widor), à l'occasion du 150anniversaire de la naissance de l'organiste de Notre-Dame. Le programme évoque quantité d'aspects de l'orgue de Vierne, des Symphonies aux Pièces de fantaisie en passant par les Pièces en style libre, chaque pièce étant présentée par Daniel Roth. Tout le monde n'ayant pas une installation vidéo optimisée sur le plan audio, on rêve de disposer un jour de cet enregistrement en CD, pour apprécier pleinement la prise de son de Christoph Martin Frommen (Aeolus). À titre de simples exemples, la gestion de la traction des notes pour une projection idéale du son, et notamment ce que l'on pourrait appeler l'agogique des accords, particulièrement sensible dans la Toccata et le Final de la Quatrième Symphonie, y est riche d'enseignement, tout comme l'utilisation de la palette des timbres : flûtes admirables, et non moins les gambes et célestes, ou encore la commande de l'expression. À la console de Saint-Sulpice, le Récit expressif n'est pas relié à une bascule centrale mais actionné par une cuiller à crans placée à l'extrémité droite du pédalier. Conséquence : le pied droit est souvent monopolisé par l'expression (quand une bascule centrale permet de jongler des deux pieds), le gauche restant seul pour assumer la partie de pédale lors d'une progression dynamique, ce qui en dit long sur les contraintes de toucher et de phrasé pesant sur ledit pied gauche. C'est toute l'articulation du texte musical qui s'en trouve impactée, marque de fabrique des orgues Cavaillé-Coll de l'époque intermédiaire, comme donc à Saint-Sulpice – une spécificité, parmi tant d'autres, dont les compositeurs du Concours 2021 auront dû tenir compte…
 
Michel Roubinet

Paris, église Saint-Sulpice, 21 novembre 2021
www.aross.fr
 
 
(1) Concert du 5 juillet 2020
https://www.youtube.com/watch?v=HWlKBOtsjRY
 
(2) Présentation du Concours Saint-Sulpice 2021
https://www.aross.fr/composition2021-orgue-et-creation/
 
(3) Concours européen de composition d’orgue de Dudelange 2022
https://www.orgue-dudelange.lu/concours-de-composition-2022/informations-francais/
 
(4https://www.concertclassic.com/article/anniversaire-de-lorgue-cavaille-coll-de-saint-sulpice-150-ans-et-en-grande-forme-compte
 
(5) Démonstration des différentes sonorités du grand orgue
https://www.youtube.com/watch?v=-wYcyZDUszM
https://www.youtube.com/watch?v=_GfwDc-lhQM
 
(6) Démonstration des différentes sonorités de l'orgue de chœur
https://www.youtube.com/watch?v=KJ3e3o_GcRE
 
(7) Les interprètes
https://www.aross.fr/composition2021-les-interpretes/
 
(8) Vidéos des épreuves de la finale et remise des Prix 
bit.ly/3xTj2h6

(9www.aross.fr/produit/blu-ray-vierne-daniel-roth/
 
Nota : l'œuvre ayant reçu le Premier Prix dans la catégorie « Grand orgue » devrait être programmée lors du prochain Festival de la Chaise-Dieu.
 
 
Photo © risuonanze.it

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