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Anniversaire de l'orgue Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice - 150 ans et en grande forme ! - Compte-rendu
Inauguré le 29 avril 1862, l'orgue de l'église Saint-Sulpice, en grande forme et intact, a dignement fêté ses 150 ans le 29 avril 2012. Intact ne signifie pas que cet orgue monumental – le plus grand jamais construit par l'illustre facteur Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899) : 100 jeux répartis sur cinq claviers manuels et pédalier – n'a subi aucune intervention, mais que son esthétique a toujours été pleinement respectée et que l'ensemble de ses composantes d'origine (tuyauterie, sommiers, tirage mécanique des notes et des jeux assisté de machines pneumatiques, alimentation en vent, etc.) sont à ce jour préservées. Un orgue, dont la matière est aussi « fragile » que défi au temps, n'en demeure pas moins un prodigieux exemple de stratification dont Saint-Sulpice offre un remarquable exemple.
Ce Cavaillé-Coll emprunte en effet grandement aux instruments l'ayant précédé. L'orgue de l'ancienne église, réinstallé en 1729 dans le transept nord de l'église actuelle (la dédicace solennelle de l'imposant édifice, le deuxième de Paris par la taille, n'aura lieu qu'en 1745), ayant été démonté puis vendu en 1784 à celle de Passy, c'est un orgue neuf que François-Henri Clicquot livre en 1781, dans un nouveau buffet de 20 mètres de haut : dessiné par Jean-François Chalgrin (1739-1811, dont l'Arc de triomphe de l'Étoile fut l'ultime réalisation), il sera exécuté par le maître-menuisier Jadot et le sculpteur Duret. L'orgue Clicquot fit par la suite l'objet de travaux d'envergure de la part des maisons Daublaine-Callinet (1834-1846) et Ducroquet (1845, 1854), avant que l'instrument ne soit reconstruit par Cavaillé-Coll entre 1857 et 1862, distribué sur sept étages dans le buffet de Chalgrin (et au-delà : la boîte expressive du clavier de Récit, dont on voit les jalousies, touche la voûte, à trente mètres de hauteur), « trait d'union entre l'art ancien et l'art nouveau ». Cavaillé-Coll, ce faisant, conserva environ 40% du Clicquot tel que transmis au cours de la première moitié du XIXe siècle.
D'autres travaux et relevages (réfection de la mécanique, renouvellement des peaux des souffleries, etc.) furent par la suite ponctuellement réalisés, entre autres par Cavaillé lui-même en 1883, Mutin en 1903, la Société Cavaillé-Coll en 1934, Beuchet-Debierre en 1952. La dernière restauration en date (1989-1991), toujours sans modifier ni la substance ni l'esthétique du monumental instrument, est l'œuvre de la maison Renaud. Déjà plus de vingt après, l'orgue a bénéficié, pour fêter comme il convient ses 150 ans, d'un dépoussiérage partiel et d'un accord général des 6706 tuyaux par Michel Goussu (facteur en charge de l'entretien depuis une vingtaine d'années) et Denis Lacorre. Intact, le Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice l'est assurément, mais l'on voit que l'entretien au long cours d'une telle « machine » s'accompagne au fil du temps de multiples interventions, toutes, en l'occurrence, scrupuleusement respectueuses de la personnalité de ce chef-d'œuvre de la facture française du XIXe siècle.
Pour le concert du dimanche 29 avril, célébrant dans une église comble ce grand siècle et demi d'histoire et de musique, Daniel Roth (photo), titulaire depuis 1985, et Sophie-Véronique Cauchefer-Choplin, titulaire-adjointe, avaient convié trois des organistes de Notre-Dame. Roth rendit d'abord hommage à deux titulaires de l'époque classique : Guillaume-Gabriel Nivers, en poste de 1651 environ à 1702 : il ne connut ni l'église ni l'orgue actuels, et Louis-Nicolas Clérambault, à Saint-Sulpice de 1715 à 1749 : il connut donc l'ancien et le nouveau lieu – et le vieil orgue réinstallé (ses deux fils César-François et Évrard-Dominique lui ayant succédé, la dynastie Clérambault régna sur la tribune de Saint-Sulpice de 1715 à 1773). Roth fit sonner avec une incroyable présence les jeux classiques conservés dans l'orgue actuel, l'auditeur étant chaque fois subjugué par la réactivité et la précision de l'instrument, en dépit de sa taille, de la distance entre touches et soupapes et de la nature des transmissions – on croyait entendre le toucher, pétillant de vie, qu'autorise une mécanique classique, directe.
Très en doigts et incontestablement virtuose, Philippe Lefebvre fit ensuite entendre un arrangement de la Fantaisie chromatique et fugue (pour clavier) BWV 903 de Bach – étonnante clarté des inépuisables traits de triples croches, malgré le tempo emporté et l'immensité du lieu – puis la fameuse Pièce d'orgue BWV 572. S.-V. Cauchefer-Choplin offrit ensuite l'Andante sostenuto de la Symphonie Gothique de Widor (titulaire à Saint-Sulpice – en fait organiste « provisoire » ! – de 1870 à 1933), suivie de Jean-Pierre Leguay jouant avec un formidable aplomb deux maîtres non voyants : Louis Vierne (Cortège op. 31, I/2) et Augustin Barié (Lamento et Marche – cf. Actualité du 26 octobre 2010) : magistral et chaleureux.
Vint ensuite Marcel Dupré (titulaire de Saint-Sulpice de 1934 à 1971) : Crucifixion et Résurrection de la Symphonie-Passion par Yves Castagnet, qu'il a superbement enregistrée (tout comme Dupré lui-même à la fin de sa vie) sur le Cavaillé-Coll [1890] de Saint-Ouen de Rouen – vrai temps fort de ce concert, pour l'interprétation et la grandeur de l'œuvre.
S.-V. Cauchefer-Choplin évoqua ensuite Jean-Jacques Grunenwald, successeur de Dupré à Saint-Sulpice (1973-1982) : La mélodie intérieure (Suite n°2, 1937) et Sortie-Alléluia des Cinq Pièces pour l'office divin de 1952, pages certes antérieures à sa nomination à Saint-Sulpice, mais que l'on imagine inévitablement marquées par cet instrument : Grunenwald y fut suppléant de Dupré de 1936 à 1946. Bien qu'écrite de main de maître, sa musique d'une extrême qualité ne prétend pas à la puissance inspirée des grandes fresques de Dupré.
Daniel Roth referma cette évocation de l'instrument et de ses musiciens à travers une bouillonnante improvisation citant aussi bien la Fugue en sol mineur op. 7 de Dupré que la Sortie en mi bémol de Lefébure-Wely, prédécesseur (1863-1869) de Widor à Saint-Sulpice – jusqu'à faire entendre l'extravagante « machine à grêle », très évocatrice et sonore…
Longue vie – cela se compte en siècles – au Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice !
Michel Roubinet
Paris, église Saint-Sulpice, 29 avril 2012
Prochains concerts (libre participation aux frais) :
• Jeudi 24 mai à 20 h 30, Maîtrise Notre-Dame de Paris
, dir. Lionel Sow : Messe Salve Regina pour chœur, soli et deux orgues d'Yves Castagnet + œuvres pour orgue solo, au grand orgue : Olivier Latry.
• Dimanche 17 juin à 16 heures, récital Daniel Roth : autour de Théodore Dubois, Camille Saint-Saëns, César Franck et Charles-Marie Widor.
Sites Internet :
Auditions d'orgue de Saint-Sulpice
http://www.stsulpice.com/Docs/concerts.html
Pétition pour le classement du Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice au Patrimoine Mondial
http://www.stsulpice.com/Docs/participf.html
Daniel Roth
http://www.danielrothsaintsulpice.org/
Site Aristide Cavaillé-Coll
http://www.culture.gouv.fr/culture/cavaille-coll/fr/
Association Aristide Cavaillé-Coll
http://www.cavaille-coll.com/
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Photo Daniel Roth à la console de l'instrument : DR
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