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​Faust de Gounod (version 1859) à l’Opéra de Lille – Diables purs, diables radieux – Compte rendu

 
La réussite est totale, disons-le d’emblée. On pinaillera forcément sur quelques détails, mais ce Faust que propose l’Opéra de Lille et qui viendra bientôt à l’Opéra-Comique suscite l’enthousiasme sur le plan musical autant que théâtral. Il confirme que nous avons les artistes aptes à défendre ce répertoire, sans devoir aller chercher des voix au-delà des océans, et il prouve aussi qu’il n’est pas nécessaire d’actualiser à tout prix.

 

© Simon Gosselin

 
Un univers dickensien revu et corrigé par Tim Burton
 

Certes, la mise en scène que signe Denis Podalydès rend un hommage évident – et involontaire ? – à la production cinquantenaire de Jorge Lavelli : même XIXe siècle fantasmé et fantasmatique, avec les beaux costumes de Christian Lacroix qui offre un univers dickensien revu et corrigé par Tim Burton, et les décors d’Eric Ruf. La ressemblance est assez évidente lors de la kermesse et surtout pour le retour des soldats, eux aussi estropiés, sales et ensanglantés, comme dans le spectacle qui fit scandale à Garnier en 1975. Moins monumentale que celle de Max Bignens, la scénographie est plus mobile et se transforme pour ménager des espaces plus ou moins intimes, selon ce qu’exige le livret. Les images frappantes se succèdent, les interventions des deux danseuses sont toujours justifiées, car limitées à la kermesse et à Walpurgis, et l’on apprécie ces deux acolytes en chapeau melon, mi-Magritte mi-Orange mécanique, présents dès le lever du rideau, machinistes qui aident à pousser Faust vers la damnation.

 

Louis Langrée © Chris Lee

 
Aussi bien dirigé que joué
 
Pas de gémellité entre le diable et sa proie : Méphistophélès possède d’un bourgmestre la panse et le brûle-gueule, mais il est aussi virevoltant et sarcastique que Faust est dégingandé et rêveur. Surtout, le spectacle assume sans solution de continuité les dialogues parlés, propres à la version originale de l’œuvre : le concert proposé par le Palazzetto Bru Zane en 2018 avait révélé cet état de la partition, le spectacle lillois en confirme la validité. Cela dit, il paraît peu probable que cette version-ci détrône celle de 1869 : d’abord, parce que les airs qu’elle inclut ne compensent pas tout à fait ceux qui lui manquent ; ensuite, parce que la concision de la version Opéra de Paris, si elle rend elliptique certains passages et empêchent de saisir certaines allusions (le motif du duo Marguerite-Valentin qui revient peu avant l’air des Bijoux, par exemple), possède une efficacité dramatique assez remarquable. Mais puisque nous sommes en France et que nous avons les chanteurs capables de dire autant que de chanter, profitons-en et savourons cet autre Faust, surtout lorsqu’il est aussi bien dirigé et joué que par Louis Langrée à la tête de l’Orchestre national de Lille, plein de mordant et de vigueur.

 

 © Simon Gosselin

 
Tutoyer les sommets

 
Le Chœur de l’Opéra de Lille (préparé par Mathieu Romano et Louis Gal) brille lui aussi, par la pureté et la netteté des voix, même si les effectifs auraient pu être un peu plus nombreux pour la kermesse, afin de mieux différencier étudiants, soldats et bourgeois, mais c’est là un objectif de plus en plus rarement atteint. Quant aux solistes, ils tutoient les sommets, eux aussi, comme chanteurs et comme acteurs. Anas Séguin est le seul rescapé du concert de 2018 et de la version discographique : il ne fait qu’une bouchée de Wagner, lui qui était Valentin dans un mémorable Faust vu à Limoges en 2023. Marie Lenormand fait bénéficier Dame Marthe d’une vis comica cultivée lors d’une solide pratique de l’opérette des années folles (Gosse de riche, Le Testament de la tante Caroline…). Juliette Mey, avec son look à la George Sand, profite pleinement de l’enrichissement du rôle de Siébel. Valentin à Liège en 2019 notamment, Lionel Lhote perd « Avant de quitter ces lieux » mais son personnage subit ici une véritable cure de jouvence et la mise en scène évite d’en faire un méchant, tant mieux.

 

 © Simon Gosselin

 
Incarnation idéale
 
On se doutait que Jérôme Boutillier ferait des étincelles en Méphisto : ses premières scènes sont relativement sobres, mais la kermesse et surtout le jardin permettent à l’acteur de se lâcher, le public rit aux éclats, et la voix est glorieuse comme jamais. Vannina Santoni (photoest Marguerite, l’incarnation est idéale, et si la soprano nous prive de l’aigu final d’« Il ne revient pas », cela tient peut-être au fait qu’une indisposition l’a empêchée d’assurer la générale. Les prochaines représentations lilloises et parisiennes la trouveront sans doute en meilleure forme. Quant à Julien Dran (photo), il reçoit un triomphe mérité lors des saluts, tant il semble s’être approprié le rôle avec maestria depuis Limoges (1) il y a deux ans, avec une admirable richesse de nuances et de demi-teintes, et une vaillance sans reproche. Heureux habitants des Hauts-de-France qui pourront admirer cette prestation sur grand écran le 15 mai (2), et heureux mélomanes qui verront cette production, à Lille ou à Paris (à partir du 21 juin).
 
Laurent Bury

 

> Les prochains concerts en région Pas-de-Calais <

(1) www.concertclassic.com/article/faust-lopera-de-limoges-comme-il-faut-faire-faust-compte-rendu
 
(2) www.lillemetropole.fr/evenements/opera-live-faust-2179659
 
Charles Gounod, Faust (version 1859) – Lille, Opéra,  5 mai, prochaines représentations les 7, 10, 12, 15 (retransmission en Région Hauts-de-France), 17, 20 & 22 mai 2025 // www.opera-lille.fr/spectacle/faust/

Reprise du spectacle à l’Opéra-Comique du 21 juin au 1er juillet 2025 // www.opera-comique.com/fr/spectacles/faust

Photo © Simon Gosselin

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