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Faust à l’Opéra de Limoges – Comme il faut faire Faust – Compte-rendu

 Et si un stage à l’Opéra de Limoges s’imposait pour quiconque aspire à prendre les rênes de l’Opéra de Paris ? Cela nous aurait peut-être épargné quelques ratages et horreurs qui ont suivi la mise à la retraite du Faust de Jorge Lavelli, présenté de 1975 à 2003. En effet, Alain Mercier a trouvé le moyen de présenter, dans le théâtre qu’il dirige, une production du chef-d’œuvre de Gounod qui, sans pouvoir à aucun moment être accusée de ringardise : a) ne cherche pas à raconter une autre histoire que celle du livret, b) ne transpose pas l’action dans un univers sordide, c) use de moyens proprement scéniques pour traduire les émotions des protagonistes, d) ne va pas à l’encontre de la musique.
 

© Opéra de Limoges - Steve Barek

Evidemment, le « concept » ne prétend pas réinventer la mise en scène d’opéra : doubler chaque personnage par un danseur, cela s’est déjà fait. En cela, Claude Brumachon et Benjamin Lamarche n’innovent pas. Simplement, les deux chorégraphes – qui avaient déjà monté l’Orphée de Gluck à l’Opéra de Limoges en 2005 – ont l’intelligence de mener leur projet de façon telle qu’il emporte l’adhésion totale du spectateur. Loin d’être redondante ou gênante, la présence des corps dénudés des danseurs permet au contraire de traduire avec éloquence des transports passionnés qu’il serait absurde de demander aux chanteurs de mimer eux-mêmes : la danse au chant se marie, les deux arts se complétant véritablement. Les costumes d’Hervé Poeydemenge situent l’histoire vers la fin du XIXsiècle : là non plus, rien de révolutionnaire, mais cela fonctionne très bien, surtout dans les admirables décors, à la fois simples, ingénieux et pratiques qu’a conçus Fabien Teigné, superbement éclairés par Ludovic Pannetier.
 

© Opéra de Limoges - Steve Barek

Le spectacle se déroule avec fluidité et évidence, la présence des danseurs permettant même d’éviter les effets spéciaux, par exemple pour les fleurs de Siebel qui se fanent, ici grâce à l’intervention directe du diable dansé. Saluons au passage la stupéfiante prestation des sept danseurs, et en particulier du trio central : Steven Chotard en Faust, Elisabetta Gareri en Marguerite et Martin Mauriès en Méphistophélès virevoltant et finalement vaincu. L’oreille aussi a bien des raisons de se réjouir. Dans la fosse, Pavel Baleff n’éprouve pas le besoin de prendre la partition avec des pincettes, et sa direction au geste large respecte les intentions de Gounod. Un peu paradoxalement pour une version aussi chorégraphiée, le fameux ballet est supprimé, mais la scène de la chambre est bien là, et la seule coupure notable concerne le court dialogue entre Siebel et Valentin qui précède le chœur des soldats. L’orchestre et le chœur de l’Opéra de Limoges s’y montrent sous leur meilleur jour, avec autant de puissance que de précision.
 

© Opéra de Limoges - Steve Barek

Enfin, autre point sur lequel on aimerait que notre première scène nationale s’inspire de cet exemple, un opéra français est entièrement confié à une distribution francophone. Que les petits rôles soient tenus par des chanteurs qui s’expriment dans leur langue maternelle, cela semble aller de soi (encore que, à l’Opéra de Paris…). Thibault de Damas n’a que quelques mots en Wagner, mais il s’en acquitte fort bien, et Marie-Ange Todorovitch est très drôle en Dame Marthe. Même si le rôle n'est pas forcément destiné à une mezzo, c’est un véritable luxe que d’avoir Eléonore Pancrazi en Siebel, qui méritait amplement d’avoir à chanter son deuxième air, « Si le bonheur à sourire t’invite ». De Valentin, en qui il est désormais de bon ton de voir un personnage haïssable, Anas Seguin nous montre le côté vulnérable et meurt magnifiquement.

En Méphistophélès, Nicolas Cavallier se déchaîne et il a bien raison, son timbre sonore et mordant faisant du diable un maître du sarcasme. Julien Dran prête au rôle-titre un phrasé plein de délicatesse, et si l’on a entendu des contre-uts plus suaves à la fin de la cavatine, la note n’en est pas moins négociée avec un fort beau diminuendo. En Marguerite, enfin, Amina Edris ayant quitté la production, l’Opéra de Limoges a eu l’immense chance de pouvoir engager Gabrielle Philiponet, à qui son évolution vocale permet de donner un portrait complet de Marguerite, la soprano ayant en effet conservé l’agilité nécessaire à l’air des Bijoux, mais avec par ailleurs l’ampleur qu’exige les moments plus dramatiques.

Laurent Bury
 

Charles Gounod, Faust. Limoges, Opéra, 19 mars ; prochaine représentation à l’Opéra de Vichy le 26 mars 2023 (à 15h) / https://opera-vichy.com/
 
Photo © Opéra de Limoges - Steve Barek

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