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Parsifal au Capitole de Toulouse – Humilité inspirée, distribution superlative – Compte-rendu

Wagner fait l’événement à Toulouse avec Parsifal, ouvrage absent depuis 1962 de la programmation du Capitole et que l’Orchestre n’a pas joué intégralement depuis 1987, date d’une version de concert sous la baguette de Michel Plasson. Pour ce grand retour de l’ultime ouvrage du démiurge de Bayreuth, Christophe Ghristi a réuni une distribution superlative, on va y revenir, et appelé Aurélien Bory, auquel il avait déjà fait confiance en octobre 2015 pour un très applaudi couplage Bartók/Dallapiccola.(1) Entre temps, le metteur en scène s’est fait remarquer dans le domaine lyrique avec un très prenant Orphée et Eurydice de Gluck, en collaboration avec Raphaël Pichon et son ensemble Pygmalion(2).

Runes ? Alphabet d’une langue inconnue venue du fond des âges ? Les étranges motifs et caractères qui se dessinent sur le rideau pendant le Prélude sèment les points d’interrogation, à l’image de ceux qui parsèment une partition qu’Aurélien Bory aborde avec une profonde humilité, refusant tout prêt-à-porter conceptuel pour mieux éprouver son mystère. Humilité inspirée que celle d’une production qui laisse parler la musique, son théâtre intérieur. La sobriété et le dépouillement caractérisent une conception où l’ombre domine, afin de mieux mettre en valeur le parcours initiatique du chaste fol. A. Bory avoue avoir puisé un part de de son inspiration dans la pensée manichéiste du Perse Mani. Il est allé plus loin aussi vers l’Orient, pour trouver dans le bunraku, le théâtre de marionnettes japonais, une idée très pertinente : ces manipulateurs vêtus et voilés de noir qui entourent Amfortas et symbolisent son aliénante blessure avant de disparaître au moment de sa guérison. Parsifal, qui paraît au début du III en tenue de kendoka, est lui aussi cerné au commencement de ce dernier acte d’une présence qui ne le quitte qu’au moment où il trouve pleinement la force d’accomplir sa mission.
 

Mathias Goerne (Amfortas) © Cosimo Mirco Magliocca

Nul fatras pseudo-métaphysique dans ce Parsifal, nulle kitscherie non plus dans la scène des filles-fleurs, traitée avec une extrême simplicité, mais des procédés astucieux et efficaces (par exemple ce panneau thermosensible au II, à l’arrière duquel des corps viennent s’« imprimer » dessinant une mouvante et érotique fresque  – bravo à la douzaine de circassiens, invisibles, qui apportent beaucoup à la mise en scène ! On émettra juste quelques réserves sur la herse végétalisée, guère esthétique, que l’on découvre au début de l’Acte I, mais toute la suite fonctionne excellemment et, par sa nudité, donne le sentiment de toucher à la chair vivante de la musique.

Pierre-yves Pruvot (Klingsor) & Sophie Koch (Kundry) © Cosimo Mirco Magliocca

En matière vocale, le Parsifal toulousain affiche une distribution exemplaire. Nicolai Schukoff (photo à g.), en resplendissante forme, saisit la personnalité du héros dans toute sa diversité. Sa rencontre avec Kundry au II s’avère d’une saisissante intensité, à la mesure de l’incarnation proposée par Sophie Koch (photo à dr.). « L’un des plus grands moments de ma carrière », avoue la mezzo française au sortir de cette première. Avec un instrument d’une richesse et d’une ampleur incroyables, elle habite son personnage – il s'agit d'une prise de rôle – de phénoménale manière. Une certitude s’impose : une immense Kundry est née ! Que de belle humanité et de profonde musicalité la voix souple, large et remarquablement homogène de Peter Rose apporte-t-elle à Gurnemanz, face au mémorable et bouleversant Amfortas de Matthias Goerne, hissé sur des cimes proprement métaphysiques. Attaché à la défense des voix françaises, Christophe Ghristi a fait appel à Pierre-Yves Pruvot, qui relève fort bien le défi d’un Klingsor que le metteur en scène imagine tel un singulier magicien à cape blanche. Excellent Titurel de Julien Véronèse.
 

Sophie Koch (Kundry) et Nikolai Schukoff (Parsifal) © Cosimo Mirco Magliocca

Côté filles-fleurs, Andrea Soare, Marion Tassou, Adèle Charvet, Elena Poesina, Céline Laborie et Juliette Mars sont irréprochables, tout autant que Kristofer Lundin (Premier Chevalier), Yuri Kissin (Deuxième Chevalier), Enguerrand de Hys (Troisième Ecuyer) et François Almuzara (Quatrième Ecuyer). On n’omettra pas de saluer le travail d’Alfonso Caiani qui conduit le Chœur du Capitole (et sa Maîtrise) et le Chœur de l’Opéra national Montpellier-Occitanie réunis à un remarquable degré de qualité dans des interventions toujours intensément vécues (que d’intériorité, de mystère, et d’émotion !, dans le chœur final ...)
 

Frank Beermann © Julia Bauer

Pas de grand Parsifal sans une baguette qui sache le porter. La production du Capitole a sur ce plan comblé grâce à la présence de Frank Beermann (né en 1965), remarquable musicien inconnu du public français (2) – hormis, éventuellement, de discophiles curieux de raretés lyriques publiées par le label CPO. Generalmusikdirektor de l’Opéra de Chemnitz jusqu’en 2012, l’artiste allemand mène depuis une carrière de chef invité. A n'en pas douter, on le reverra vite sur les bords de la Garonne tant sa direction fouillée, allante, jamais empesée, sa compréhension intime de l’ouvrage ont convaincu – à la tête d’un Orchestre national du Capitole d’une plénitude et d’une beauté incroyables ! –, sans parler de sa connaissance de la voix, de son attention incessante au plateau ; autant d’atouts qui auront grandement contribué à la réussite du temps fort de la saison lyrique toulousaine.

Alain Cochard

(1) www.concertclassic.com/article/le-prisonnier-et-le-chateau-de-barbe-bleue-au-theatre-du-capitole-mis-en-scene-par-aurelien
(2) www.concertclassic.com/article/orphee-et-eurydice-de-gluck-version-berlioz-lopera-comique-au-coeur-du-drame-compte-rendu
(3) Frank Beermann a semble-t-il fait une apparition à l’Opéra de Marseille il y a une vingtaine d’années

Wagner : Parsifal – Toulouse, Théâtre du Capitole, 26 janvier ; prochaines représentations les 28 et 31 janvier, 2 et 4 février 2020 // www.theatreducapitole.fr/

Photo © Cosimo Mirco Magliocca

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