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Orphée et Eurydice de Gluck (version Berlioz) à l’Opéra-Comique – Au cœur du drame – Compte-rendu

Riche idée que celle d’Olivier Mantei, patron de la salle Favart, qui a su provoquer la rencontre de Raphaël Pichon et d’Aurélien Bory autour d’Orphée et Eurydice, dans la version que Berlioz élabora pour Pauline Viardot en 1859. Une rencontre qui se sera pleinement accomplie grâce aux choix du chef de l’Ensemble Pygmalion. R. Pichon a en effet décidé de donner l’ouvrage en renonçant à l’ouverture et à la scène finale où Amour ressuscite Eurydice. Exit les conventions donc, au profit d’une approche toute tendue vers le drame, qui tient le spectateur en haleine une heure trente durant. Une ouverture tout de même, un Larghetto  – emprunté à Don Juan ou le Festin de pierre, ballet composé par Gluck en 1761 (le n° 30 dudit ballet) – ; il prélude avec une évidence absolue et s’enchaîne idéalement au Chœur de la suite d’Orphée par lequel s’ouvre l’acte I.
© Stefan Brion

Nouveau venu dans le monde de l’opéra, Aurélien Bory (qui a débuté il y a deux ans au Capitole sur un doublé Bartók/ Dallapiccola remarqué) marque un très grand coup avec cet Orphée et Eurydice. Le tonnerre d’applaudissements qui accueille son travail, comme celui de toute l’équipe, est à la mesure des images puissantes que le metteur en scène suscite (bien aidé par les lumières d’Arno Veyrat) en s’appuyant sur une reproduction de la toile Orphée ramenant Eurydice des enfers de Corot. Elle n’est qu’un point de départ pour un résultat qui privilégie l’abstraction. Rien de plaqué sur la musique mais, tout au contraire, une démarche qui s’enracine dans sa substance dramatique et les couleurs fabuleuses d’une partie orchestrale que les exécutants magnifient. On serait tenté de souligner tel ou tel moment du spectacle – à l’instar du saisissant chœur des Furies – : inutile, il faut le vivre dans sa sobre et cohérente totalité pour en mesurer la réussite et la force. Jusqu’à cette conclusion si bien trouvée : l’apparition d’Amour, visage défait, sur la reprise du chœur initial « Ah !, dans ce bois lugubre et sombre. »

© Stefan Brion

Côté interprètes, bonheur sans mélange là aussi avec, en tête de distribution, Marianne Crebassa dont l’Orphée – digne ô combien ! de la mémoire de Pauline Viardot – témoigne d’un engagement et d’une justesse psychologique renversants, servis par un instrument d’une exceptionnelle richesse. Annoncée légèrement souffrante, Hélène Guilmette ne laisse rien paraître et vit son rôle avec une intense sensibilité. Quant à Amour, si l’emploi est modeste par ses dimensions, il permet néanmoins à Lea Desandre de faire mouche d’une voix lumineuse.

Raphaël Pichon © Caroline Doutre

Quant à Pygmalion, pour sa partie chœur, l’ensemble force l’admiration tant par la qualité de son interprétation que son engagement dans une production scéniquement – et physiquement – exigeante. Dans la fosse, Raphaël Pichon peut compter sur des instrumentistes d’un niveau exceptionnel (cette harpe, ce solo de flûte – renversant ! –, cette harmonie, ces cuivres, sans parler des cordes, admirables de plénitude, appuyées sur de profondes basses ...) et sonde la partition avec une poésie, une noblesse et un sens du drame simplement bouleversants. A chaque apparition, le talent de R. Pichon frappe un peu plus. Sa carrière franchit à l’évidence un cap ici. Ce Gluck/Berlioz appelle... un Berlioz - une Damnation dans les mains de Bory et Pichon, voilà qui aurait de l’allure ! Mais chaque chose en son temps ; la grandeur du jeune chef français tient aussi à une rare capacité à ne jamais brûler les étapes.

Alain Cochard

Gluck/Berlioz : Orphée et Eurydice – Paris, Opéra-Comique, 12 octobre ; prochaines représentations les 16, 18, 20, 22 et 24 octobre 2018 (Retransmission sur Arte concert en direct le 18) / www.concertclassic.com/concert/orphee-eurydice /
Découvrez le reportage de 3foisC pour Concertclassic : youtu.be/SeVcY47LszA

Photo © Stefan Brion

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