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Robinson Crusoé d’Offenbach au Théâtre des Champs-Elysées [jusqu’au 14 déc.] – MOGA et non MAGA – Compte rendu

Make Offenbach Great Again : voilà un slogan auquel tout mélomane adhérerait aussitôt. Ce parti existe déjà depuis près de trois décennies, et les têtes de liste en sont bien connues. Marc Minkowski à la direction d’orchestre, et Laurent Pelly à la mise en scène. Une fois de plus, ce « ticket » a réussi ce que plus personne n’osait espérer : la résurrection du Robinson Crusoé, que Paris n’a guère pu applaudir qu’en 1986 (si tant est que l’on ait vraiment voulu applaudir la production de Robert Dhéry) depuis sa création en 1867.(1)

© Vincent Pontet
Le meilleur de deux mondes
Le miracle opère : là encore, une partition conçue par Offenbach pour l’Opéra-Comique se révèle un parfait chef-d’œuvre qui concilie le meilleur de deux mondes, puisque le compositeur sut allier le raffinement d’écriture attendu Salle Favart à l’énergie irrésistible de ses plus loufoques opéras-bouffes. Et d’un livret désormais impossible, Laurent Pelly a su tirer le plus intelligent et le plus réjouissant des spectacles. Exeunt les « indigènes » cannibales, adieu blackface, les sauvages portent désormais une casquette rouge hélas bien connue, quand ils n’arborent pas d’autres attributs qu’on s’en voudrait de dévoiler, préférant laisser la surprise aux heureux spectateurs de France et de Navarre (2) qui découvriront ce Robinson sur scène ou par le biais d’une captation qui se révèle indispensable.
> Voir l'interview de Laurent Pelly à propos de Robinson Crusoé <

© Vincent Pontet
Direction survitaminée
On ne s’étonnera pas que la mise en scène rapproche l’action de notre époque : du foyer de Sir William Crusoé, Laurent Pelly fait un appartement british dans un camaïeu de verts (on se croirait presque dans un épisode de Derrick) où le héros se morfond dans le délicieux ennui distillé par ses parents, malgré la présence de sa cousine Edwige, de la bonne Suzanne et de son ami Toby. Caricature exquise, gestes et mimiques « pellyens » mais auxquels on se laisse prendre sans la moindre résistance (Ah, cette petite danse de colonie de vacances sur « C’est aujourd’hui dimanche »!), le premier acte passe comme une lettre à la poste. L’Amérique où échoue Robinson est une sorte de Californie dystopique, où les SDF campent au pied des gratte-ciels. Les anthropophages travaillent dans un abattoir moderne, et la tribu adoratrice du dieu Saranha paraît bien républicaine… A l’issue du deuxième acte, le sourire est sur toutes les lèvres, et seuls quelques trumpistes égarés hueront l’équipe artistique lors des saluts. Survitaminée, la direction de Marc Minkowski sait exalter aussi bien les beautés symphoniques que prodigue Offenbach évoquant le monde nouveau, mais il imprime aussi ses Musiciens du Louvre toute la frénésie requise dès l’ouverture. Le chœur accentus accomplit superbement son travail, dansant aussi bien qu’il chante, qu’il soit sauvages ou matelots.

© Vincent Pontet
> Voir l'interview de Marc Mauillon <
Des solistes en état de grâce
Pour la plupart familiers des productions offenbachiennes de ces dernières années, les solistes sont eux aussi en état de grâce. Quel bonheur de retrouver Laurent Naouri, idéal en Crusoé père, qui travaillent avec les co-listiers Minkowski et Pelly depuis Orphée aux enfers ! Savoureuse reine Clémentoine dans Barbe-Bleue, Julie Pasturaud lui donne la plus adéquate des répliques. Gardefeu dans La Vie Parisienne, Rodolphe Briand est cette fois un pittoresque Jim Cocks, tandis que Marc Mauillon renoue en Toby avec le succès de son Bobinet dans la même production. Nouvelle venue, la Québécoise Emma Fekete est une Suzanne piquante. Après avoir été privée de la générale, Adèle Charvet, bien qu’encore souffrante, campe un Vendredi éloquent et aux riches couleurs, arrachant le personnage aux stéréotypes colonialistes. Blonde poupée des sixties couronnée d’une toison à la Bardot, l’Edwige de Julie Fuchs parvient à faire rire par son jeu d’actrice tout en restant toujours d’une musicalité au-dessus de tout soupçon, et sert idéalement les superbes airs et ensembles que lui réserve la partition. Quant à Sahy Ratia, il semble devoir enchaîner les triomphes, après le rôle-titre de Satyagraha à Nice et son Nadir à Massy : le ténor malgache traduit à merveille le caractère rêveur de son personnage, mais il possède aussi des réserves de vaillance qu’il déploie à fort bon escient.
Bref, n’hésitez plus, votez Pelly-Minkowski, et Make Offenbach Great Again !
Laurent Bury

(1) Lire de compte-rendu de Paul Bernard après la création de 1867 : www.concertclassic.com/article/les-archives-du-siecle-romantique-97-la-creation-de-robinson-crusoe-doffenbach-vue-par-paul
(2) Ce Robison Crusoé est le résutat d'une coproduction entre le TCE, Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes, en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane
Jacques Offenbach : Robinson Crusoé – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 3 décembre ; prochaines représentations les 5, 8, 10, 12 & 14 décembre 2025 // www.theatrechampselysees.fr/saison-2025-2026/opera-mis-en-scene/robinson-crusoe
Reprises à Angers le 10 mai, à Nantes les 29 & 31 mai, 2 et 4 juin : www.angers-nantes-opera.com/accueil/robinson-crusoe
puis à Rennes les 16, 18, 20, 22 & 24 juin 2026 : www.opera-rennes.fr/fr
Photo © Vincent Pontet
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