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Orfeo ed Euridice de Gluck selon Robert Carsen au Théâtre des Champs-Élysées – Intensité nue – Compte-rendu

Robert Carsen proclame : « J’adore Gluck » (1). Et on n’en douterait gère au vu de sa nouvelle production de Orfeo ed Euridice, conçue comme un drame mis à nu d’une ardeur transcendée. C’est ainsi que sur le plateau du Théâtre des Champs-Élysées n’apparaît nul élément de décor, hors un sol sablonneux où les protagonistes exposent à froid leurs douleurs et leurs passions. Dans une expression immanente et directement saisissante au sein de mouvements d’une sobriété éloquente.
Philippe Jaroussky (Orfeo) et Paricia Petibon (Euridice) © Vincent Pontet
 
On ne saurait être plus loin d’une vaine agitation ou de falbalas de costumes et décorum. Les trois uniques personnages de l’action occupent l’espace de leur expression exacerbée, cernés du défilé en alignements des choristes et de quelques figurants, tous de noir vêtus à l’instar du propos tragique, costumes et cravates pour les hommes, robes strictes pour les femmes. L’acte des enfers fait intermède, mais dans un même sentiment avec ses êtres en hardes blanchâtres jonchés à même le sol. Quelques objets lumineux, vases de flammes et d’eau, fleurs, ponctuent le vide de ces éclairages ténébreux (signés Carsen et son collaborateur Peter Van Praet). La musique et son essence, l’amour, la vie, la mort, offerts directement sans artifice. Juste sorti de son Beggar’s Opera d’une tout autre nature scénique (2), Carsen montre une fois de plus la diversité polymorphe de son talent. À la fois beau plastiquement et immédiatement prenant, pour un sujet éternel et une inspiration musicale qui l’est autant.
 
Car les interprètes ne sont pas en reste de transmission. À commencer par Philippe Jaroussky (photo) dans ce rôle d’Orfeo taillé à sa mesure, sa voix d’aigus filés immatériels et son incarnation d’une immanente tension dramatique. Le rôle de sa carrière ?... Une manière d’aboutissement quoi qu’il en soit, pour cette incarnation appelée à rester dans annales. Patricia Petibon lui répond d’une même facture assurée tout autant que douloureuse, Euridice dans une vocalité de belle tragédienne. De même Amore planté par Emőke Baráth, que l’on avait déjà appréciée récemment en ce même théâtre dans Alcina (3), et qui confirme ici des vertus interprétatives dominées.
© Vincent Pontet
 
Le Chœur de Radio France s’adapte parfaitement à son propos baroqueux, nuancé et puissant quand il faut, qui plus est avec une réelle adéquation scénique de ses positions et allées et venues. Depuis la fosse, Diego Fasolis mène avec vigueur son ensemble I Barocchisti, dans une sonorité contrastée mettant en exergue les passages d’élégie et de tempête. Tout juste regrettera-t-on un rendu quelque peu lointain, dans l’amplitude de la vaste salle, qui dessert l’impact des 35 musiciens du petit effectif instrumental comme de solistes vocaux esseulés. La reprise du spectacle à l’Opéra royal de Versailles, équivalant par sa taille et sa nature à ce que devait être le petit théâtre de cour à Vienne où l’œuvre dans sa première mouture fut créée (en 1762) et telle qu’elle est ici présentée, peut-être saura-t-elle mieux s’adapter à la circonstance…
 
Pierre-René Serna
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(1) Lire l’entretien :
www.concertclassic.com/article/trois-questions-robert-carsen-metteur-en-scene-tout-theatre-est-moderne-comme-il-letait-au
 
(2) lire le compte-rendu :
www.concertclassic.com/article/beggars-opera-au-theatre-des-bouffes-du-nord-le-retour-du-celebre-inconnu-compte-rendu
 
(3) lire le compte-rendu :
http://www.concertclassic.com/article/alcina-au-theatre-des-champs-elysees-mise-en-abyme-compte-rendu
 
Gluck : Orfeo ed Euridice – Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 22 mai ; prochaines représentations les 25, 27, 28, 31 mai et 2 juin, puis à l’Opéra royal de Versailles les 8 et 10 juin 2018 //  www.concertclassic.com/concert/orfeo-ed-euridice // www.chateauversailles-spectacles.fr/spectacles/2018/gluck-orfeo-ed-euridice
 
Photo © Vincent Pontet
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