Journal

Œdipe d’Enesco au Festival International George Enescu 2025 / Opéra de Bucarest – Des yeux plutôt que des jambes ou des fesses – Compte rendu

 
Dans quelques jours, ce seront des fragments de statues antiques représentant, entre autres, des seins et des fesses qui constitueront l’essentiel de la scénographie de Thaïs au Capitole de Toulouse. Dans ce même théâtre, c’était de moulages de bras et des jambes qu’était hérissé le décor d’Ariane et Barbe-Bleue. Signataire des spectacles qu’on vient de mentionner, Stefano Poda n’a pas eu à chercher longtemps quel organe serait mis en avant pour Œdipe : des yeux, bien sûr. Se souvenant sans doute de Phèdre que Racine imaginait venant voir le soleil pour la dernière fois, Edmond Fleg fait dire au héros antique, dans le livret qu’il conçut pour Georges Enesco : « Soleil, tu vois mes yeux pour la dernière fois ».

 

© Opera national de Bucarest / Andrei Gindac

 
Blanc mais guère limpide
 
Du début jusqu’à la fin, c’est entre trois murs d’yeux – dont la pupille s’éclaire parfois, de lumière blanche, puis rouge lorsque Œdipe finit par s’énucléer – que se déroule donc le drame, qui fait aussi intervenir l’autre grande composante des mises en scène podesques : une quarantaine de figurants presque nus, qui dansent, se contorsionnent lorsqu’ils deviennent les victimes de la peste, ou gisent simplement au sol quand ils n’ont rien de mieux à faire.
Créée in loco fin décembre 2023, cette production est caractérisée par une blancheur très soigneusement éclairée, comme toujours avec Stefano Poda, les seules incursions de couleur étant la robe rouge de la Sphinge, ici présentée au milieu d’une sorte de vivante Porte de l’Enfer de Rodin, grâce aux figurants qui entourent le monstre, ou cet étonnant éclairage vert dans lequel la scène est plongée pour les derniers instants de la soirée. Le metteur en scène/scénographe/costumier/éclairagiste italien a parfois été plus inspiré, et le spectacle, bien que toujours agréable à regarder, ne rend pas toujours l’action très limpide,  tous les personnages se ressemblant avec leurs manteaux blancs, sauf le Berger qui est à peine plus vêtu que les figurants.

 

© Opera national de Bucarest / Andrei Gindac

 
Le souvenir de José Van Dam
 
Par un louable souci d’authenticité, c’est bien la version originale en français qui est donnée à Bucarest. Cela dit, lorsque l’on dispose du gratin du chant roumain, et qu’il existe une version traduite dans la langue maternelle du compositeur, ce purisme est-il bien raisonnable ? Si admirables que soient leurs efforts, plus ou moins couronnés de succès, pour prononcer notre langue, les artistes présents sur le plateau seraient sans doute plus à leur aise dans un idiome qui leur serait aussi familier qu’à leur public. Il faut d’ailleurs quelques minutes au spectateur francophone pour comprendre que cet opéra est chanté… en français.
Par chance, le titulaire de l’écrasant rôle-titre est celui dont la diction est la plus soignée : Ionuţ Pascu semble d’ailleurs avoir beaucoup écouté l’intégrale jadis enregistrée par José Van Dam (1), dont il reproduit certaines intonations et parfois jusqu’au timbre même, pour une incarnation néanmoins tout à fait convaincante. Il y a peu encore, Ruxandra Donose était très appréciée dans le répertoire baroque : chez sa Jocaste, on remarque un vibrato désormais très présent.
 

© Opera national de Bucarest / Andrei Gindac

Adrian Sâmpetrean confère à Créon toute l’autorité qu’on lui connaît. Malgré ses rires carnassiers, la Sphinge de Ramona Zaharia manque un peu de la démesure du personnage, mais le fait de devoir chanter à mi-hauteur d’une sorte de cage métallique ne lui facilite peut-être pas les choses. Andrei Lazăr est un Berger percutant, Alexei Botnarciuc un solide Tirésias, et l’on regrette que Kaarin Cecilia Phelps, lauréate du Grand Prix du concours Enesco de Paris, soit couverte par l’orchestre dans le grave.
Le chœur, très investi, aurait dû bénéficier de la présence d’un répétiteur de langue pour éviter que les voyelles nasales sonnent comme dans quelque pagnolade (« BienveillaNNNtes bienfaisaNNNtes » sont les Érynies...)
 
Dans la fosse, Tiberiu Soare met en valeur les beautés de l’écriture orchestrale d’Enesco mais ne parvient pas à rendre plus dynamique une partition un peu dépourvue de véritable ressort théâtral, ce en quoi le spectacle, plus décoratif que dramatique, ne l’aide guère, il est vrai.
 
Laurent Bury

(1) Sous la direction de Lawrence Foster 1989 / EMI Classics 2 08833 2
 
Georges Enesco : Œdipe - Bucarest, Opéra national de Roumanie, lundi 15 septembre 2025 // 27e Festival George Enescu, jusqu'au 21 septembre : festivalenescu.ro/ro/festivalul-george-enescu/concerte
 
Photo © Opera national de Bucarest / Andrei Gindac

Partager par emailImprimer

Derniers articles