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Gabriel Durliat et Jonathan Fournel à l’Orangerie d’Auteuil – Poètes pianistes – Compte rendu

La série des Solistes à l’Orangerie d’Auteuil reste fidèle à la formule qui a fait son succès : des récitals d’un seul tenant d’une durée d’une heure environ, deux artistes par jour du vendredi au dimanche sur le premier week-end du mois de septembre. Après Arielle Beck et Philippe Bianconi et avant Sacha Morin et Vanessa Wagner, la journée du samedi recevait Gabriel Durliat (photo à g.) et Jonathan Fournel (photo à dr.). Deux représentants de la jeune génération aux tempéraments très différents, mais unis par un profond sens poétique.

Gabriel Durliat © Thomas O'Brien
Promenade française
Gabriel Durliat – pianiste doublé d’un compositeur et chef d’orchestre – ouvre son programme par Bach, le Ricercare à 6 tiré de L’Offrande Musicale. Comme toujours avec cet interprète, on est admiratif d’une conception totalement dominée, d’une vision globale de la partition : il sait où il va et nous le fait d’emblée ressentir. L’architecture sonore s’édifie avec une sûreté et une clarté époustouflantes (cette façon de timbrer chaque voix ...) et le recul que l’interprète prend par rapport au texte n’exclut aucunement la sensibilité. On reste en terre germanique avec le Klavierstück n° 5 de Wolfgang Rihm – pièce de 1975, bien de son temps !, qui fait figure de tombeau de Liszt – auquel le pianiste apporte la densité de son et le mordant requis.
Réparties entre le XVIIIe et le XXe siècle, toutes les pièces à suivre se situent en terre française. Une promenade que Durliat commence avec les Tendres plaintes de Rameau, sous ses doigts métamorphosées en un parfum de musique, avant un Hommage à Rameau où s’illustre une rare subtilité dans le traitement de l’ «orchestration pianistique » de Debussy.
D’hommage en hommage
À l’hommage de ce dernier à l’auteur de Dardanus succède celui de Paul Dukas à Claude de France : La Plainte, au loin, du Faune, d’une conception proprement miraculeuse d’immatérielle poésie. Contraste complet, mais hommage toujours avec la Pièce pour le tombeau de Paul Dukas de Messiaen où le pianiste trouve la solennité et la puissance requises, sans jamais durcir ni appauvrir le son. Et c’est par l’hommage de Ravel à l’esprit de la musique du XVIIIe siècle qu’il conclut : un Tombeau de Couperin aussi finement dessiné que rêveur, d’un charme entêtant ... Comme la Pavane pour une infante défunte qui suit en bis.
Vous entendrez reparler dans quelques mois du Tombeau de Couperin de Gabriel Durliat puisqu’il figure au cœur de l’« Hommage à Ravel » que l’artiste prépare chez Scala Music – un enregistrement où quelques jolies surprises attendent les amoureux du compositeur. Patience ...

Jonathan Fournel © Serge Leblon
De plain-pied dans la musique
Avec Beethoven, Mantovani et Liszt, Jonathan Fournel a donné rendez-vous à son auditoire dans un programme tout différent de ce qui a précédé.
Sonate op. 110 de Beethoven : quelle admirable façon de s’installer dans la musique dès les premières notes. Simplicité, immédiateté, naturel – tout le contraire de la manière je-vous-joue-un-chef-d’œuvre-du-Grand-compositeur-allemand-au-soir-de-sa-vie – : on entre de plain-pied dans une interprétation remarquable de maîtrise et de lisibilité de la sonate la plus subjective sans doute de l’auteur (elle ne porte aucune dédicace). Fournel n’en tire aucun prétexte pour forcer l’expression ; il est un je-ne-sais-quoi de kempffien dans cette manière de faire. Quelle beauté de toucher ... D’une son très plein, le mouvement médian libère toute son énergie, avant la plongée dans le finale – si redoutable pour la mémoire avec sa fugue et sa fugue miroir, et conduit ici d’exemplaire façon – ; plongée dans l’intime qui s’offre avec la simplicité et l’humanité d’un pur poète du clavier.
Maîtrise et spontanéité
L’Etude pour les octaves de Bruno Mantovani, très belle pièce de 2017 – au titre un peu trompeur compte tenu de ce l’on associe généralement à la focalisation sur ce aspect de la technique pianistique – est pleine de points d’interrogation et d’étrangeté et met en valeur la palette sonore de l’interprète. Un petit regret : on aurait aimé qu’il l’enchaîne avec la Sonate de Liszt placée conclusion. Une œuvre mille fois entendue dont Jonathan Fournel sait rafraîchir l’écoute par l’alliance de maîtrise et de spontanéité qu’il y manifeste. Il en connaît chaque recoin et pourtant s’émerveille – et l’auditoire avec lui – de sa beauté. Aucun effet facile (dans une partition qui a beaucoup donné en la matière ...) mais une conception organique et concentrée qui stimule constamment l’oreille et ... remporte tous les suffrages ! Fournel prend congé du public avec l’un des Opus 117 de Brahms. Un bis de poète pianiste au terme d’un après-midi qui réunissait deux des plus remarquables que compte la jeune génération.
Alain Cochard

Paris, « Les Solistes à l’Orangerie d’Auteuil », 6 septembre 2025
Photo : Gabriel Durliat © Dominik Falenskidr / Jonathan Fournel © Marco Borggreve
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