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Rencontre avec Louis Langrée et Théotime Langlois de Swarte – Gluck en partage

L’Opéra-Comique fait l’événement, du 2 au 12 novembre, avec une série de six représentations d’Iphigénie en Tauride dans une nouvelle production de Wajdi Mouawad, le rôle-titre revenant à la soprano Tamara Bounazou. Côté fosse, Le Consort sera au rendez-vous, sous la direction de Louis Langrée, les 2, 4 et 6 novembre, puis de Théotime Langlois de Swarte, les 8, 10 et 12 novembre. Un Gluck en partage donc, entre deux artistes, unis par une profonde complicité humaine et musicale. On les a retrouvés au Comique pendant les répétitions.
Le Comique ou la maison des débuts
Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique, Académie de l’Opéra-Comique (deux structures désormais regroupées dans le « Campus Favart ») : la transmission est une préoccupation de premier plan pour Louis Langrée. « Je suis arrivé à un âge où il est important de transmettre, confie-t-il, et l'Opéra-Comique a toujours été la maison des débuts. Natalie Dessay a eu son premier triomphe ici, comme Roberto Alagna dans Roméo, Sabine Devieilhe ou Jodie Devos ; Denis Podalydès a fait sa première mise en scène d’opéra à Favart, comme Cyril Teste et Valérie Lesort. Et pour ce qui concerne les chefs, Raphaël Pichon a construit à partir d’ici la carrière de chef lyrique qui aujourd'hui irradie le monde. C’est une fierté énorme pour nous tous que Théotime fasse partie de la famille ; je suis fier d’offrir, à lui et au Consort, leur première vraie production d’opéra. »

Louis Langrée & Théotime Langlois de Swarte © S. Brion
Maturité, connaissance et intuition mêlées
Louis Langrée ne cèle pas son admiration pour son jeune collègue : « C’est évidemment un violoniste exceptionnel, c'est aussi un musicien hors pair. La jeunesse n'a pas d'importance, Théotime c'est tout ensemble une maturité, une connaissance, une intuition mêlées et, naturellement, mais ça ne m'étonne pas du tout, le simple fait de jouer d'un instrument ne suffit pas, il lui faut une vision plus large. Vision qu’il possède même lorsqu’il joue de son instrument. » Le chef souligne le sens de la « dramaturgie musicale » que le violoniste manifeste dans la musique instrumentale, son « sens du geste musical », et comprend d’autant mieux l’aisance avec laquelle il a trouvé ses marques dans la fosse de l’Opéra-Comique. Après un Molière/Lully avec Les Musiciens du Louvre en mars 2023, on se souvient qu’il avait été l’assistant de Louis Langrée pour le Zémire et Azor de Grétry, avec les Ambassadeurs-La Grande Ecurie, à la toute fin de la saison 2022-2023, et s’était d'ailleurs vu confier la direction de la dernière date de la série.
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Théotime Langlois de Swarte en répétition avec Théo Hoffman (Oreste) et Tamara Bounazou (Iphigénie) © S. Brion
La meilleure école de direction
Une expérience hautement instructive pour un chef en devenir : « c’est une école incroyable que de venir quotidiennement travailler avec le chef de chant, les chanteurs, toute l'équipe. C’est la meilleure école de direction parce qu’on est vraiment au contact de la musique, tous les jours et, surtout, pendant un mois et demi. Quand nous avons commencé à travailler ensemble, nous ne nous connaissions pas. Nous nous disions que nous partagions peut-être une esthétique commune ou en tout cas des goûts communs, mais c'était tout même un pari quand j’y repense. Et cette production d’Iphigénie en est un aussi. À chaque fois que nous discutons, j'ai toujours l'impression que la musique n’a pas de génération. Nous parlons de la musique, de notre ressenti, de la dramaturgie, de la rythmicité des récits, etc. Je suis fasciné tout à la fois par la connaissance, le savoir, l’humilité et la bienveillance de Louis. Il ne met pas d’ego dans la musique ; c’est tellement facile de travailler ensemble, tellement inspirant, clair, tellement lisible. »

© S. Brion
Gluck ne recherche pas la beauté mais la vérité
Louis Langrée est d’autant plus heureux de la production qu’il partage avec Théotime Langlois de Swarte que l’ouvrage de Gluck occupe une place importante dans son parcours. « Il y a près de vingt ans que je n'ai pas dirigé Iphigénie, remarque-t-il, mais c'est une œuvre avec laquelle j'ai grandi en tant que chef d'orchestre. J’ai par le passé déjà dirigé trois productions différentes de cet ouvrage. La toute première fois où je l’ai lu, je me suis dit : ce n’est pas du Mozart mais, justement, l'archaïsme du langage, ou sa limitation par rapport à Mozart, permet à Gluck d'inventer un monde nouveau. Il faut se souvenir qu’à l’époque de Gluck il y avait des acteurs chantants. Plus on pense théâtre dans cette musique, plus cela oblige à développer des couleurs, des modes d’expression : Gluck ne recherche pas la beauté mais la vérité. Sa musique exprime un état d’incandescence telle qu’il ne faut pas seulement dire les mots, il faut les porter plus haut. Je pense à la phrase de José Van Dam que j’aime à répéter : « Chanter c’est très simple, il suffit de parler plus haut ». Mais parler plus haut en intensité, en tessiture, en spiritualité. Les phrases d’Iphigénie sont à écrire en lettres majuscules : c’est la dignité dans le tragique. Ce n’est pas Traviata, ni Mimi, mais quelqu’un qui fait face à sa destinée les yeux ouverts. Tous les chanteurs de l’époque, même s’il y a cette révolution gluckiste, ont été nourris de la musique de Rameau, ont grandi avec elle, puis sont allés ailleurs. »
« La simplicité gluckiste, enchaîne Théotime Langlois de Swarte, constitue presque une idéal néoclassique, au sens antique. Rameau offre un discours très ciselé, avec beaucoup de détails ornementaux. Gluck simplifie ce langage baroque devenu très complexe, mais qui n’est pas simpliste ; il offre une musique qui raconte énormément ; une musique de théâtre : on est dans la tragédie. »

Louis Langrée, Théo Hoffman (Oreste), Tamara Bounazou (Iphigénie) & le metteur en scène Wajdi Mouawad © S. Brion
Sur la partition de la création
Louis Langrée se montre très stimulé par la collaboration avec un jeune collègue issu du monde baroque et par le regard qu’il porte sur le texte musical. De ce point de vue, la production qui arrive au Comique est revenue à la source de l’ouvrage. Louis Langrée et Théotime Langlois de Swarte travaillent en effet à partir du scan de la partition (conservée à la BnF et d’ailleurs consultable par tout un chacun sur Gallica) utilisée pour la création d’Iphigénie, à l’Académie Royale de Musique le 18 mai 1779 – on y trouve les indications du batteur de mesure.

© S. Brion
Le Consort ou l’obsession de la vocalité
Première vraie production lyrique pour Théotime Langlois de Swarte que cette Iphigénie, pour Le Consort aussi dont la participation est une très belle marque de reconnaissance dix ans après sa fondation. Un contexte lyrique dans lequel les instrumentistes ne seront aucunement dépaysés puisque, comme le rappelle le violoniste et chef, « depuis le départ nous avons l’obsession de la vocalité, une dimension essentielle dans la musique du XVIIIe siècle – tous les traités en parlent. Une vocalité adossée à la rythmicité de la danse. Cela fait années que nous y travaillons. Le baroque a été longtemps résumé au clavecin. Un instrument qui n’avait pas du tout le rôle que l’on imagine à l’époque A partir de là, il y a eu un leurre sur l’esthétique baroque : l’articulation, le fait de tout jouer ciselé, la césure avant chaque début de mesure, etc. »
À rebours de cette manière, Les musiciens du Consort mettent en avant la vocalité, collectivement, mais aussi individuellement ; il suffit de pendre les enregistrement de Justin Taylor, de Sophie de Bardonnèche, d'Hanna Salzenstein et, bien évidemment, de Théotime Langlois de Swarte, pour le comprendre. Autour du « noyau dur » du Consort, nombre d’instrumentistes de la jeune génération, tels le hautboïste Gabriel Pidoux ou le corniste Félix Roth, tous proches des membres principaux de la formation et partageant une même vision esthétique, se sont réunis. C’est donc un Consort en format XL d’un petit peu plus de quarante musiciens qui prendra place dans la fosse du Comique pour l’un des spectacles les plus attendus de l’automne parisien.
Alain Cochard
(Entretien avec Louis Langrée et Théotime Langlois de Swarte réalisé le 23 octobre 2025)

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Gluck : Iphigénie en Tauride
Les 2, 4, 6 8, 10 & 12 novembre 2025
Paris – Opéra-Comique
www.opera-comique.com/fr/spectacles/iphigenie-en-tauride
Photo © Stefan Brion
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