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Lady Macbeth de Mtsensk au Festival International George Enescu de Bucarest 2025 – Staline avait tout compris – Compte rendu

Si Staline fit interdire Lady Macbeth de Mtsensk, ce ne fut évidemment pas sans de bonnes raisons. Mais plus encore que le crime dérive formaliste ou la pornographie musicale, le petit père du peuple avait-il, dans son infinie sagacité, deviné que Chostakovitch venait de composer l’un des sommets de la production lyrique du XXe siècle et qu’il risquait donc de lui faire de l’ombre s’il continuait dans cette veine. En effet, si cette œuvre s’est inscrite au répertoire de tous les théâtres depuis que la partition originale est redevenue accessible il y a une trentaine d’années (rappelons que l’interdit prononcé en 1936 dura jusqu’aux années 1960, et que Chostakovitch ne put alors faire jouer qu’une version révisée, intitulée Katerina Izmailova), c’est précisément parce qu’elle marque une date essentielle dans l’histoire de l’opéra. S’il avait pu travailler sur des livrets de cette qualité pour d’autres opus lyrique atteignant les mêmes hauteurs, le compositeur compterait encore davantage parmi les plus grands noms lustrés dans ce genre. Même une version de concert comme celle que proposait cette année le festival George Enescu de Bucarest permet de vérifier la toujours stupéfiante force de cet opéra ; peut-être même mieux encore qu’une interprétation scénique, puisqu’elle permet de ne pas perdre une miette d’une écriture orchestrale hors pair, avec son incroyable collage de citations et de parodies.
Une efficacité sans faille
A la tête de l’Orchestre national de la radio roumaine, Giancarlo Guerrero (photo) dirige l’œuvre avec une efficacité sans faille. Optant d’emblée pour des tempos énergiques qui ne laissent jamais s’alanguir le discours, le chef costaricain n’hésite pas à déchaîner toute la fureur qu’a voulue Chostakovitch, dans les différents interludes instrumentaux, et bien sûr dans celui qui correspond à l’accouplement de Katerina et de Sergueï, orgasme musical auprès duquel l’ouverture du Chevalier à la rose paraît bien policée. Le Chœur académique de la radio roumaine apporte son indispensable contribution, et fournit aussi avec brio les différents personnages secondaires qu’appelle le livret.

Une distribution de premier ordre
Même si l’interprète du rôle-titre est manifestement l’argument-clé (son portrait géant figure sur la façade de la Salle du Palais, au même titre que ceux de messieurs Gatti, Capuçon et Kantorow), il convient de saluer une distribution internationale qui réunit ce que l’on peut espérer de mieux à l’heure actuelle, même pour les figures moins développées. La mezzo américaine Michelle Trainor campe ainsi une Aksinia truculente et plus russe que nature. Ténor de caractère incontournable dans le répertoire slave, Andrei Popov est une fois de plus exceptionnel en Balourd miteux. Beniamin Pop est un pope délicieux, et Maria Barakova confère un timbre capiteux à Sonietka, même si elle n’a que quelques répliques. Vincent Wolfsteiner est un Zinovi veule à souhait, face à la figure écrasante de son père Boris, incarné avec une majesté impressionnante par Andreas Bauer Kanabas, la basse allemande revenant aussi au dernier acte en vieux prisonnier.

Sensualité irrésistible
Se substituant en dernière minute Pavel Černoch initialement annoncé, Sergey Polyakov est un remplaçant de luxe, qui était Sergueï cette saison à Düsseldorf (vidéo disponible sur Operavision) et qu’on entendra en Chouiski à Lyon le mois prochain (1) : le ténor russe donne une impression de puissance jamais prise en défaut, il joue son rôle autant qu’il le chante, et forme un couple idéal avec la Katerina de ce soir. Kristine Opolais (photo) maîtrise toutes les facettes d’un rôle qu’elle a récemment enregistré sous la direction d’Andris Nelsons, puisant dans ses réserves pour atteindre les notes les plus graves du personnage, s’inventant une voix de petite fille quand elle veut séduire un gardien de prison, déchaînant une sensualité irrésistible. La soprano lettone offre un portrait complet de cette héroïne mi-tragique mi-dérisoire – l’aspect dérisoire étant hélas mis en avant par les encombrantes vidéos demandées à Carmen Lidia Vidu, d’un kitsch – voulu ? – évoquant quelque produit télévisé de quatrième zone.
Laurent Bury

(1) Opéra de Lyon, du 13 au 25 oct. : www.opera-lyon.com/fr/programmation/saison-2025-2026/opera/boris-godounov
Dmitri Chostakovitch : Lady Macbeth de Mtsensk (version de concert)– Bucarest, Sala Palatului, 14 septembre 2025 // 27e Festival George Enescu, jusqu'au 21 septembre : https://festivalenescu.ro/ro/festivalul-george-enescu/concerte
Photo © Orchestre national de la radio roumaine - Alex Damian
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