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Les Demoiselles de Rochefort au Lido – La vie en mauve – Compte rendu

Après Cabaret ou Hello Dolly, le Lido s’avise que la France a su donner une réplique au musical, et c’est donc en français qu’on y chante cet automne. Après avoir programmé Les Parapluies de Cherbourg au Châtelet en 2014, Jean-Luc Choplin mise cette fois sur le chef-d’œuvre du tandem Demy-Legrand, Les Demoiselles de Rochefort, comédie musicale aussi française qu’Edith Piaf, mais à « La vie en rose », elle préfère une vie en mauve, plus en demi-teintes, dans la mélancolie amoureuse que cultivent la plupart de ses personnages, même si tout est bien qui finit bien et que chacun trouve sa chacune juste avant le baisser du rideau.

© Maria-Helena Buckley
Un décor en permanente transformation
Si vous doutez encore que les frontières entre opéra et comédie musicale puissent être poreuses, ses représentations devraient achever de vous convaincre. A qui a-t-on confié la scénographie de ce nouveau spectacle ? A Bruno de Lavenère pour les décors et à Etienne Guiol pour les vidéos, soit exactement le tandem qui vient de brillamment réussir Satyagraha à l’Opéra de Nice ; le premier est désormais bien connu des amateurs d’opéra, pour ses nombreuses collaborations, notamment avec Laurent Pelly, et le second a eu l’excellente idée de ne surtout pas concurrencer le film de Jacques Demy, en évitant de nous montrer des vues de la véritable ville où est censée se dérouler l’action. A part les images du pont transbordeur qui ouvrent et ferment la soirée, les parois du fond de scène montrent essentiellement d’énormes majuscules formant le nom de Rochefort, constellées d’ampoules lumineuses. Conformément au scénario, qui passent constamment d’un lieu à l’autre, le décor se transforme constamment pour transporter le public de l’appartement des sœurs Garnier au café de leur mère, en passant par la boutique de Simon Dame ou la galerie d’art de Guillaume Lancien, entre autres. Les costumes d’Alexis Mabille reprennent pour l’essentiel le look Courèges qui fait désormais le charme désuet du film, en privilégiant différentes nuances de violet pour habiller les forains et Andrew Miller, mais en lorgnant aussi un peu sur les années 1970 et sur le disco.

© Maria-Helena Buckley
Des voix d’opéra qui n’abusent pas
Autre preuve, s’il en fallait une de plus : qui a-t-on choisi pour succéder à Catherine Deneuve et Françoise Dorléac ? Des spécialistes de comédie musicale ? Pas du tout ! La mezzo Marine Chagnon est connue pour avoir fait un passage remarqué par l’Académie de l’Opéra de Paris, et l’on se souvient qu’elle fut notamment une fort belle Poppée. Quant à la soprano Juliette Tacchino, sa jeune carrière est émaillée de rôles du grand répertoire qu’elle a interprétés au Curtis Institute of Music de Philadelphie. Sans qu’elles abusent jamais de leur « voix d’opéra » (d’autant plus qu’elles sont sonorisées, comme tous les artistes ici présents), leur formation lyrique s’entend néanmoins à plusieurs reprises, dans la qualité de leurs notes extrêmes. Du monde de l’opéra vient également Valérie Gabail, jadis égérie des baroqueux, et que l’on a déjà pu entendre sur cette même scène dans Le Forum en folie.

© Maria-Helena Buckley
Fluidité de la mise en scène
Les autres solistes appartiennent, eux, au monde du musical et du théâtre : même s’il n’a pas la tignasse blond platine de Jacques Perrin, David Marino a la gueule d’ange de Maxence et l’on se régale de la pointe d’accent canadien qui passe dans son français impeccable. Paul Amrani est un Andrew Miller plus juvénile que Gene Kelly, mais tout aussi bien dansant. Arnaud Léonard prête une voix ferme à Simon Dame, Victor Bourigault est un Lancien presque inquiétant, entre ses statues vivantes qui rendent hommage aux anthropométries d’Yve Klein. Et l’on ne manquera pas de saluer le tandem pétillant formé par Valentin Eyme et Aaron Colston. On comprend que Boubou soit ici adolescent plutôt que bambin, mais pourquoi diable être allé chercher un danseur anglais, certes talentueux, mais au français aussi exotique que celui d’Andrew Miller ?
Gilles Rico est pour sa part un metteur en scène reconnu dans le monde de l’opéra, et l’on se souvient en particulier de l’habileté avec laquelle il avait su s’emparer du Tribut de Zamora de Gounod à Saint-Etienne. Il règle ici un spectacle totalement fluide, où s’insèrent parfaitement les chorégraphies signées Joanna Goodwin – tout juste s’étonnera-t-on de ce ballet de nonnes qui se superpose à la première apparition du thème du concerto de Solange.
Une direction vitaminée
La partition est dans toutes les oreilles, et il semble bien que l’on soit ici revenu à l’original, plutôt qu’à l’adaptation que Michel Legrand avait lui-même réalisée pour la production scénique donnée en 2003 au Palais des Congrès. Pas de chanson supplémentaire par rapport au film, semble-t-il, et l’on ne s’en plaindra pas, la prestation de l’Orchestre du Lido dirigé par Patrice Peyriéras fournissant le plein de vitamines nécessaire en ces jours où le soleil se montre moins.
Laurent Bury

Michel Legrand : Les Demoiselles de Rochefort – Paris, Théâtre du Lido, samedi 4 octobre, 2025 ; jusqu’au 11 janvier 2026 // theatredulido.com/fr/
Photo © Maria-Helena Buckley
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