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Giselle au Palais Garnier – Le meilleur du blanc – Compte rendu

 

 
Soir de fête, qui rend son lustre à la Grande Boutique, où continue ainsi de s’épanouir le patrimoine, quand il n’est pas blessé par des choix hasardeux, lesquels ont parfois terni l’image de l’Opéra. En ouverture glorieuse, le populaire Défilé de l’Ecole et du Ballet sur la  plastronnante Marche des Troyens de Berlioz, qui permet à chacun de fouler la scène mythique, sur fond de lumières éclaboussantes, avec d’adorables gamins et gamines se prenant déjà pour les rois du monde pour culminer sur les étoiles couronnées de diadèmes signés Chanel. Quel que soit le choix de chacun, on ne peut résister et les applaudissements fusent, même si ce n’est pas l’artiste préféré qui passe,  car c’est ici le même travail abyssal, le  même dévouement à leur art que le public salue avec ce bataillon voué à faire vivre l’art du bien bouger, et de lui donner un sens.

 
Voluptueuse et tourbillonnante envolée
 
Exceptionnellement, après le Défilé, le Requiem for a Rose, petit ballet servi par les beaux jeunes gens du Junior Ballet, nouvelle formation voulue par José Martinez pour accueillir des danseurs de toute provenance, prêts à bondir dans la carrière. Sélectionnés avec discernement, ils ont tournoyé dans de souples corolles rouges signées Tatyana van Walsum, entourant une silhouette épurée, âme de leur ronde et qui n’était pas sans évoquer celle d’une lointaine Rose malade imaginée par Roland Petit. Œuvre de la chorégraphe Annabelle López Ochoa, d’origine colombienne mais fixée aux Pays-Bas, cette voluptueuse et tourbillonnante envolée de portés parfois affolants inondait la salle d’une vibration qu’on aurait crue parfumée. Et que de belles pointes projetant ces silhouettes dans l’espace, pour garder tout son charme au mode d’expression néoclassique !

 

© Maria-Helena Buckley
 

Giselle, encore et toujours
 

Enfin, Giselle, l’une des trois pièces phares du ballet classique, avec La Sylphide et le Lac des Cygnes, Que dire, une nouvelle fois, de cette œuvre majeure, dont rêvent toutes les grandes ballerines, et qui marqua l’apogée d’une quête romantique dont le charme et le douloureux message continuent d’opérer en un temps de matérialisme forcené ? Giselle, c’est un peu comme Carmen : on l’a tant vue qu’on redoute la répétition, on n’imagine pas y trouver quelque émotion nouvelle. Et pourtant, encore et toujours, on en sort bouleversé, tant la sobriété de l’histoire étreint, tant l’amour spontané, juvénile, égoïste, est ici transcendé par la figure de l’héroïne, qui va plus loin que la mort. La femme souvent tentatrice des époques préromantiques y devient rédemptrice, comme la Senta du Vaisseau fantôme wagnérien, et Giselle, brisée par la légèreté de son amoureux, parvient à l’attirer hors des vanités terrestres par l’immensité de son amour, loin de tout désir.

 

Germain Louvet & Sae Eun Park © Maria-Helena Buckley

 
De retour grâce aux Russes
 
Plongeant ses racines dans le romantisme allemand, en l’occurrence celui de Heine, et dans la quête de l’impalpable, Giselle, en 1841, suscita des coups de foudre : d’abord celui de Théophile Gautier, auteur du livret et fasciné par l’univers créé par le poète d’outre -Rhin, puis l’amour fou du même Gautier pour Carlotta Grisi, l’exquise ballerine aux yeux de violette qui créa le rôle et dont il mourut en prononçant le nom. Enfin grâce à la chorégraphie faite en un éclair par Jean Coralli et surtout Jules Perrot, grand maître de l’époque mais peu salué par l’Opéra et qui ne fut même pas payé alors qu’on lui doit l’essentiel des séquences dansées par Carlotta-Giselle – part qui ne fut mise à jour que bien plus tard, grâce à Serge Lifar, lui-même grand interprète du rôle du Prince. Quant à Adam, il n’en fit qu’une portée, en quelques jours, inspiré comme il le fut rarement. Pourtant l’œuvre, tant admirée en son temps, fut retirée du répertoire en 1868 et il fallut attendre 1939 pour la revoir à l’Opéra. Petipa, chez les Russes, s’était lui, empressé de s’en saisir.

 

Roxana Stojanov © Maria-Helena Buckley - OnP 

 
Arabesques impeccables
 
Quand on évoque Giselle, une brassée de divines ballerines viennent à l’esprit, de Chauviré à Pontois et Loudières, de Cojocaru à Fracci, et même Isabelle Guérin,  qui s’arracha à son profil de bête fauve pour se glisser dans cette silhouette à la fois vibrante et éthérée, qui frappe au cœur. Un tour de force mémorable. Quant au prince, Noureev et ses effets de cape, Baryschnikov et son charme foudroyant ont marqué le rôle, mais tant d’autres aussi, dont Cyril Atanassoff à la présence dévorante, ou encore Nicolas le Riche, notre dernier grand danseur à la fois classique et de caractère. Aujourd’hui, la troupe danse admirablement, sans toujours émouvoir, mais les arabesques sont impeccables, si les pieds le sont moins, et le spectacle étant donné vingt-trois fois, la troupe aura eu la possibilité de réviser ses classiques et d’entrer dans le jeu d’un art plus éthéré.

 

Andrea Quinn © andreaquinn.com

 
Pureté de l’essentiel
 
Et la blancheur tout en gaze et tulle qui nimbe les passions meurtrières des Willis étreint toujours, comme un rêve ô combien fugitif. Avec pour ce cycle, une direction  à la fois fine et vigoureuse de la cheffe britannique Andrea Quinn, grande spécialiste du répertoire de ballet(1), visiblement plébiscitée par l’orchestre, dont les cordes ont vibré avec une douceur magique. Enfin, et surtout, des étoiles comme s’il en pleuvait dans les multiples distributions : parfois venues de loin, ainsi de la Coréenne Sae Eun Park (photo), couronnée il y a quatre ans, qui séduit sans véritablement troubler. La fine jeune femme demeure un peu éteinte, là où il faut trouver l’équilibre entre la passion et la désincarnation . Mais le reproche est mince, car la silhouette capte par sa finesse et les petits sauts sont idéalement suspendus. À ses côtés, faux paysan, prince léger mais homme enfin rendu à la force du sentiment le plus profond, Germain Louvet (photo) s’est montré parfait, élégant, battant l’entrechat admirablement dans les épuisantes variations du 2acte, tandis que les cruelles Willis, menées par l’altière Roxane Stojanov, l’encerclent impitoyablement. Danse de mort, pureté de l’essentiel, renouveau quand la cloche du matin sonne et que la vie reprend, métamorphosée par la souffrance. Et la danse pour dire tout cela… Il ne faut jamais cesser de remonter Giselle

Jacqueline Thuilleux  

 

(1) www.andreaquinn.com

Giselle (mus. Adam / chor. Coralli & Perrot) – Paris, Palais Garnier, 30 septembre 2025 ; prochaines représentations, les 4, 5, 6, 8, 10, 11, 15, 16, 17, 18, 21, 22, 23, 24, 25, 27, 28, 29, 30 & 31 octobre 2025 // www.operadeparis.fr/saison-25-26/ballet/giselle
 
 Photo © Marie-Helena Buckley

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