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Les Noces de Figaro au Palais Garnier – Des coulisses qui grincent – Compte-rendu

C’est par une main tripotant les fesses d’un petit rat de l’Opéra que débutent Les Noces de Figaro, selon Netia Jones. Si sa mise en scène n’avait pas rencontré une franche adhésion lors de sa création en 2023, sa reprise en 2025 reste pertinente dans la problématique, toujours d’actualité, de l’oppression sexuelle, ici brillamment explorée dans une mise en abyme plutôt vertigineuse de l’opéra dans l’opéra, laquelle ouvre, au final du quatrième acte, toute la scène jusqu’au Foyer de la Danse – séduisante image déjà utilisée par Robert Carsen dans son Capriccio de Strauss.
L’opéra dans l’Opéra
Loges, plateaux, magasins de costumes, vestiaires : tout l’envers du décor de Garnier défile, l‘institution servant elle-même de caisse de résonance à l’intrigue. La prédation est ici systémique : des répétitions surveillées aux interviews complaisantes, jusqu’à cette iconographie de Degas et ses petits rats, éternelles proies des mâles fortunés depuis le XVIIIᵉ siècle. Jones connaît ces codes, ces coulisses, ces ombres — tout autant qu’elle maîtrise son Beaumarchais. L’idée de projeter les pages censurées du Mariage de Figaro au début de l’acte IV prend une dimension glaçante lorsque Barberine, meurtrie, sort en larmes du bureau du Comte.

© Franck Ferville - OnP
Tableau de mœurs
La direction d’acteurs touche juste, avec une précision et un humour noir parfaitement dosé. Marcelina et Bartholo — assistante de direction et avocat — trouvent, grâce à Monica Bacelli et James Creswell, une densité rarement atteinte dans ces rôles souvent sacrifiés. La violence du masculin sur le féminin, la lutte des classes, l’arrogance de la hiérarchie : Beaumarchais et Mozart n’ont rien perdu de leur tranchant. Quant aux nostalgiques d’un Ancien Régime fantasmé, qui s’obstinent à requalifier le droit de cuissage en chimère républicaine, la réalité récente du monde artistique leur apporte un démenti cuisant : la promotion canapé n’a jamais quitté les lieux de pouvoir.

© Franck Ferville - OnP
Une direction atone
Reste le talon d’Achille de la soirée : la fosse. Pour qu’une telle mise en abyme prenne feu, il faut un chef prêt à attiser les braises. Or Antonello Manacorda livre un Mozart désespérément poli, neutre jusqu’à l’aseptisation. La révolution baroque nous a appris la vivacité, les contrastes, les arêtes : tout cela manque cruellement. Pas de mordant, pas de couleurs, parfois même des décalages dans les ensembles — notamment au deuxième acte. L’orchestre accompagne, il ne raconte plus.
Deux distributions se partageant les quatorze représentations, nous avions comme têtes d’affiche Sabine Devieilhe en Suzanne, vive et précise. Léa Desandre campe un Cherubino en jogging rouge “Narcisetto”, adolescent brûlant d’énergie. Hanna-Elisabeth Müller, un peu en retrait dans son Porgi, amor, irradie progressivement en Comtesse, par la maîtrise et la noblesse du chant.
Christian Gerhaher impose sa présence scénique, même si la couleur vocale manque de tranchant pour figurer un Comte réellement menaçant. Don Basilio (Leonardo Cortellazzi) et Don Curzio (Nicholas Jones) dominent vocalement leurs interventions. Quant à Gordon Bintner, il demeure trop effacé pour un Figaro que la mise en scène relègue de toute manière derrière les figures féminines – ce qui rend la lumineuse Barberine d’Ilanah Lobel-Torres d’autant plus marquante.
La seconde distribution (Vartan Gabrielian en Figaro, Margarita Polonskaya en Comtesse et Jérôme Boutillier en Comte) aura peut-être davantage de ce feu nécessaire pour habiter cette intelligente réflexion sur un pilier du répertoire. La chaleureuse réception du public prouve qu’elle a déjà trouvé sa place dans l’espace et l’histoire du Palais Garnier.
Vincent Borel

Photo © Franck Ferville - OnP
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