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​Le Viol de Lucrèce par l’Académie de l’Opéra de Paris aux Bouffes du Nord – Un plein aboutissement – Compte-rendu

Spectacle de l’Académie de l’Opéra de Paris, Le Viol de Lucrèce sonne comme une forme d’accomplissement tant pour ce qui est de la mise en scène que sa restitution musicale. Cet opéra de chambre de Britten se prête bien, il est vrai, au projet d’illustrer le travail accompli par l’Académie, qui plus est dans le cadre enserrant des Bouffes du Nord. Du reste, l’œuvre avait déjà été l’objet d’une précédente production de ce qui était alors l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, en 2007 reprise en 2014. Cette fois-ci, la réalisation scénique revient à Jeanne Candel, avec les toutes nouvelles recrues vocales de l’institution, face à la douzaine de jeunes instrumentistes puisés aux musiciens de l’Académie, à l’Ensemble Multilatérale et à l’Orchestre-Atelier Ostinato. L’occasion de démontrer et d’affirmer des talents qui s’avèrent d’ores et déjà mieux que des promesses.
 

© Studio J’adore ce que vous faites !/OnP

Pour ce sujet, sur un livret de Ronald Duncan tiré d’une pièce d’André Obey elle-même inspirée de Shakespeare, qui conte les affres d’une héroïne soumise aux derniers outrages sur fond mythologique de guerre entre Étrusques et Romains, Jeanne Candel a choisi la sobriété. Pourvu d’un vaste voile suspendu puis appelé à se défaire derrière lequel se cache l’ensemble instrumental sous un promontoire en partie haute, assorti de quelques petites lampes de camping et quelques fleurs (décors signés Lisa Navarro), ce plateau quasi nu suffit à planter l’action. Et celle-ci se déroule dans un jeu expressif de chaque instant, sous des lumières de pénombre choisies (par César Godefroy) et des costumes (conçus par Pauline Kieffer) entre tenues de ville actuels et treillis (opportune allusion au contexte de cet opéra créé en 1946 à Glyndebourne, lendemain d’une guerre que l’intrigue entend rappeler dans sa cruauté). Une transmission directe et immédiate.
 

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D’autant que l’incarnation des huit personnages de la trame vise au plus juste, en sus d’un chant d’une parfaite adéquation stylistique. Résultat manifestement du long travail préparatoire en amont effectué par les soins de Jeff Cohen. Les nombreux et réguliers ensembles vocaux s’épanouissent voluptueusement (en accord avec cette partition où le lyrisme n’est jamais absent) alors que l’émission soliste ne trahit pas. Un magnifique bouquet de chanteurs. Côté féminin, la palme revient à soprano suisse Andrea Cueva Molnar (Chœur féminin, incarnation du chœur antique commentant l’action, au féminin) d’une projection ferme pourvue d’élans judicieusement emportés. Ses partenaires, la mezzo française Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Lucretia), la mezzo roumaine Cornelia Oncioiu (la nourrice Bianca) et la soprano russe Kseniia Proshina (la servante Lucia), rivalisent d’entregent et de chant bien placé.
Côté masculin, le ténor suédois Tobias Westman (Male Chorus) épanche une ardeur sans déficiences qui sait nuancer quand il faut. Les autres intervenants masculins, la basse originaire des États-Unis Aaron Pendleton (Collatinus, l’époux malheureux de Lucrèce), le baryton moscovite Alexander Ivanov (l’officier Junius), le baryton venu de Chicago Alexander York (Tarquinius, le violeur de l’histoire), accomplissent pareillement un sans-faute vocal, dans une élocution anglaise appropriée.
En contrepoint au piano subtil de Christopher Vazan, la petite formation instrumentale dispense une sonorité claire et déliée, redevable assurément de la direction pointilleuse autant que sensible de Léo Warynski. Un aboutissement pleinement assumé.
 
Pierre-René Serna

Benjamin Britten : Le Viol de Lucrèce (The Rape of Lucretia) – Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 14 mai 2021 (soirée réservée aux professionnels, distribution A) ). Représentations tout public, avec deux distributions en alternance, les 19 (B), 20 (A), 22 (B), 25 (A), 27 (B) & 29 (B) mai 2021  // www.bouffesdunord.com/fr/la-saison/le-viol-de-lucrece  // Le spectacle sera disponible gratuitement sur la plateforme L'Opéra chez soi  de l'Opéra de Paris à partir du 24 septembre 2021.
 
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