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Lav Shani dirige l’Orchestre philharmonique de Munich au Théâtre des Champs-Elysées – Paysages germaniques – Compte-rendu

 
 

 La musique n’a qu’une terre, la bonne ! Après la laide et inquiétante éviction de la Philharmonie de Munich du Festival des Flandres, à Gand, en raison de la nationalité de son nouveau chef(1), l’Israélien Lahav Shani, à ce jour également directeur musical de l’Orchestre Philharmonique d’Israël, la prestigieuse phalange s’est posée au bord de la Seine, dans un Théâtre des Champs-Elysées rafraîchi et accueillant, où elle a suscité un accueil enthousiaste et unanime – juste un vague beuglement en début du concert. 
 
Ensuite, la musique a été reine, de façon ascendante, en parcourant trois volets des plus fortes aspirations de la sensibilité germanique au XIXe siècle. En premier, il faut saluer l’extrême qualité de la formation bavaroise, des cinq premiers coups de timbale qui ouvrent le Concerto pour violon de Beethoven au sublime hautbois de Tristan et Isolde, des cordes veloutées aux finesses des bois de la Symphonie « Inachevée » de Schubert : tout enveloppait l’oreille avec une complicité qui donnait au tableau sonore une véritable identité. Il faut dire que l’orchestre, même si ce fut sur une longue période, et que nombre des musiciens ont changé, est passé entre des mains expertes, de Rosbaud à Celibidache, de Maazel à Gergiev. Le voici mené par un autre de ces surdoués de la baguette, l’encore jeune Lahav Shani, 36 ans, déjà affronté à des formations stars, comme le Philharmonique de Rotterdam, et le Philharmonique de Vienne.
 
Velouté, tendresse, sens du développement
 
Shani, qui fut chouchouté par Barenboïm, ne dépare pas dans cette fabuleuse liste de monstres sacrés, avec plus de discrétion cependant. Car le style, est là, évident, et qui ne demande qu’à s’affirmer lorsqu’il prendra vraiment ses fonctions à Munich l’an prochain : un velouté, une tendresse, un sens du développement dans le temps, une respiration, bien plus qu’une lecture analytique qui caractérise son contemporain Kirill Petrenko, ou un dynamisme trop poussé dont abusent volontiers les jeunes baguettes du moment, confondant violence et vigueur.  Et d’emblée cette mise en pas feutrée s’est manifestée dans la façon délicate, réservée avec laquelle il a accompagné le violon translucide de Lisa Batiashvili pour le Concerto en ré majeur op.61 de Beethoven, pour mieux laisser s’épanouir le Guarneri del Gesù de la violoniste géorgienne, à la vision si particulière.

 

Lisa Batiashvili © Sammy Hart - DG

 
Un poème en filigrane

Certes, on sait que ce Concerto n’est pas l’œuvre la plus volontaire de Beethoven, ni la plus libre et inventive comme ses derniers quatuors, mais il constitue une sorte de parenthèse enchantée, comme une pause  dans ce parcours tempétueux, et Batiashvili, prenant la suite de l’historique Anne-Sophie Mutter, et de beaucoup d’autres grands, le joue avec une grâce pensive, une sonorité translucide, une douceur pénétrante qui apaisent et font de cette méditation un poème en filigrane. Sans maniérisme aucun, et portée par un orchestre demeurant en arrière-plan, pour ne créer aucun choc. Mais avec bien sûr, dans le dernier mouvement, une virtuosité étincelante, qui rappelle combien l’œuvre, même si elle a l’air est inoffensive, est redoutable pour l’interprète. Puis, Shani, se souvenant qu’il est aussi un solide pianiste, s’est mis au clavier, et à deux, avec le Liebeslied de Kreisler, le charme viennois a déroulé ses anneaux sur une salle enamourée, avec la même finesse que le Concerto.

 

© Marco Borggreve

 
Déchirant plongeon dans le vide
 
Ensuite, deux sommets de la désolation, du désespoir portés par une musique criant tous les malaises du XIXe siècle germanique, et si contrastés : l’ « Inachevée » de Schubert, jouée avec un dramatisme tenu, une sorte de lente décomposition des aspirations humaines, déchirant plongeon dans le vide, dont le chef a su soutenir les flux et reflux en se perdant peu à peu, grâce à l’intelligence de ses instrumentistes, qui se coulent souplement dans cet errement.

 
Apogée wagnérienne

 
Ensuite, strictement à l’opposé de la réserve schubertienne, la force tellurique du Prélude et Liebestod de Wagner, dirigé avec une maîtrise absolue des tourbillons ascendants des cordes, aboutissant sur des étirements éperdus, qui donnent le vertige, si différents de la rêverie beethovénienne, de la mélancolie schubertienne : nihilistes, cosmiques, épuisants. Une vision soutenue par le chef dans ses moindres rebondissements, avec une extrême intelligence dynamique, qui a fait de cette conclusion une apogée. Avec ces trois plongées dans une musique et une psychologie qu’il pénètre assurément, Lahav Shani promet d’ajouter de nouvelles pages de gloire à un orchestre qui en a déjà tourné tant.
 
Jacqueline Thuilleux
 

(1) Lav Shani prendra officiellement ses fonctions à Munich au début de la saison 2026-27
 
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 16 septembre 2025

Photo Lav Shani © Marco Borggreve

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