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La Flûte enchantée à Nancy – Buren chez Disney – Compte rendu

Quand les maisons d’opéra ne succombent pas aux charmes de l’opérette pour les fêtes, Die Zauberflöte apparaît souvent comme une bonne alternative, en tant que spectacle familial, au même titre que Hänsel et Gretel. En cette fin décembre, Nancy et Toulouse présentent l’une et l’autre une Flûte dont on devine que les enchantements ne seront pas du tout les mêmes. L’Opéra national de Lorraine fait salle comble avec une production visiblement très orientée vers le jeune public, pleine de clins d’oeil aux dessins animés, à Harry Potter aux jeux vidéo. Après une forêt digne de Blanche-Neige sur laquelle est projetée un serpent tout droit sorti du Livre de la jungle, le décor-tournette nous transporte au château de Sarastro, aux tourelles évoquant celui de la Belle au bois dormant, mais dont l’intérieur pourrait avoir été décoré par Buren, les costumes du chœur arborant eux aussi de larges rayures pastel. Les épreuves du feu et de l’eau ont un côté cartoon, et les protagonistes se défendent à grands coups de sortilèges, comme à l’école des sorciers. Anna Bernreitner a mis en scène plusieurs spectacles pour enfants, et cela se voit : même si l’on se passe fort bien de relecture lugubre ou futuriste, il est permis de penser que cette Flûte enchantée n’apporte pas grand-chose et adopte les figures désormais imposées : Monostatos échappe résolument au blackface (tout juste ses rayures à la Buren sont elles noires au lieu d’être roses ou vertes) et à la fin du spectacle, Sarastro et la Reine de la nuit sont les meilleurs amis du monde. XXIe siècle oblige, les héros sont fatigués : Sarastro est prêt à abandonner le pouvoir pour le confier à Tamino, et Pamina porte un pantalon très visible entre les pans de sa robe de Reine des neiges. Les dialogues parlés, très raccourcis, sont tellement elliptiques qu’ils deviennent presque difficiles à suivre, surtout au premier acte.
 

© Jean-Louis Fernandez

Dans la fosse, Bas Wiegers dirige l’orchestre de l’Opéra national de Lorraine d’une baguette très mesurée, qui refuse résolument de tirer l’œuvre du côté du pré-romantisme. Le chœur a la cohésion souhaitée, seul le moment où il occupe les loges d’avant-scène s’avérant un peu moins sonore. Du chœur sont issus les deux Hommes d’armes, ainsi que la soprano appelée à remplacer l’un des trois enfants initialement prévus mais frappés par le Covid : finalement, trois jeunes figurants tiennent sur le plateau le rôle des trois garçons, chanté par Heera Bae, Clara Guillon et Majdouline Zerrari, qui s’efforcent de limiter le vibrato autant que possible.

La distribution associe jeunes voix et artistes confirmés. Christina Poulitsi promène à travers le monde sa Reine de la nuit aux aigus transparents et précis : suspendue dans les airs, ce qui limite nécessairement son jeu, elle parvient à rendre son interprétation plus expressive qu’on ne l’avait connue à l’Opéra-Comique ou à Sanxay. Michael Nagl apporte sa caution viennoise en Papageno non plus oiseleur mais oiseau, la Papageno également viennoise d’Anita Rosati se montrant aussi généreuse en aigus qu’en œufs. Bien que jeune et filiforme, David Leigh est un Sarastro aux graves opulents, qui réussit magnifiquement « In diesen heil’gen hallen », et Christian Immler est un bel Orateur. Prisonnières d’une triple robe imitée des Parques d’Hippolyte et Aricie dans la production de Jean-Marie Villégier à Garnier en 1996, les trois dames présentent des visages contrastés, sans que la soprano (Susanna Hurrell) domine clairement le trio, où Ramya Roy et Gala El Hadidi font valoir des timbres affirmés. Quant au couple d’amoureux, Jack Swanson a le physique juvénile qui convient à Tamino, même si le timbre se révèle un peu dépourvu de séduction dans l’air du portrait ; Christina Gansch semble plus d’une fois gênée dans le pianissimo et l’instrument ne possède peut-être plus tout à fait la pureté attendue pour « Ach, ich fühl’s », signe que l’évolution de sa voix la destine peut-être à un autre répertoire.

Laurent Bury

Mozart : Die Zauberflöte – Nancy, Opéra national de Lorraine, vendredi 17 décembre ; prochaines représentations les 19, 21, 23, 26 et 28 décembre // www.opera-national-lorraine.fr/fr/

Photos © Jean-Louis Fernandez

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