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La Création de Haydn par Le Palais Royal au Conservatoire d’Art Dramatique - En français, comme en 1800 - Compte-rendu

À une époque où la langue originale s'est imposée depuis longtemps à l'opéra et dans la musique vocale en général, donner Die Schöpfung de Haydn en français : La Création, pourrait à première vue sembler anachronique. En fait, outre l'usage général du temps, l'oratorio tel que donné en 1800 à Paris (deux ans après sa première audition à Vienne) et ici même repris – l'une des belles singularités de la version proposée par Jean-Philippe Sarcos et Le Palais Royal en grande formation – répondait explicitement au souhait de Haydn de faire entendre l'ouvrage dans la langue du pays, afin que les auditeurs de tous horizons puissent comprendre le texte et suivre le déroulement de l'histoire biblique relatée tout au long de ses trois parties.
 
Originellement en anglais et traduit en allemand par l'indispensable et omniprésent baron van Swieten (pour une édition originale bilingue), le livret de l'oratorio de Haydn fut donc adapté en français par le vicomte Joseph-Alexandre de Ségur (1756-1805), dans un style empreint de simplicité et, ainsi que l'écoute l'a indéniablement confirmé, d'une musicalité en juste concordance avec celui de Haydn, jusqu'à éclairer par sa sobriété même l'« ingénuité », la bonhomie et la probité de la foi profonde qui était celle de Haydn. L'adaptation musicale proprement dite en fut confiée au compositeur et pianiste allemand Daniel Steibelt (1765-1823), qui tenait la partie de clavier – pour cette reprise de 2016 : un imposant pianoforte joué par Clément Geoffroy.
 
L'autre aspect historique d'une telle restitution tient au fait que la première française eut lieu le 24 décembre 1800, à « l'Opéra de Paris » – en l'occurrence la Salle Richelieu (précédemment Salle Montansier, 1793) – et en présence de Bonaparte. C'est en se rendant au théâtre pour y entendre cette Création qu'il échappa de peu à l'attentat royaliste de la rue Saint-Nicaise (à proximité de l'ancienne place du Carrousel, à deux pas des Tuileries) : la « machine infernale » avait explosé avec quelques secondes de retard, faisant quand même vingt-deux morts.
 
Au fil des productions du Palais Royal – Rameau et l'esprit français, avec un remarquable Requiem de Campra (1), Les Passions de Haendel (2) ou Le Temps des Héros (3) –, pour des programmes, toujours sur instruments d'époque et procédant d'un travail musicologique approfondi et vivant, traditionnellement et chaleureusement présentés par Jean-Philippe Sarcos lui-même, une magnifique constante n'a cessé de se dégager : la joie hautement communicative de jouer et de chanter, conformément à la définition que le chef donne de son orchestre : « festif, chaleureux, exigeant ».
Cela vaut tout autant pour le chœur – qui chante toujours par cœur –, joie musicale partagée qui se lit avec bonheur sur les visages mêmes des chanteurs, parmi lesquels maints solistes, ainsi ceux du programme Haendel : la mezzo Charlotte Mercier et le baryton Clément Dionet. Pour ce 18ème concert donné dans la salle historique du premier Conservatoire de Paris, presque contemporaine de la production parisienne initiale de l'œuvre et où la formation est en résidence, empathie et joie musicale, qui chaque fois gagnent le public en l'espace d'un instant, étaient on ne peut mieux en harmonie avec le programme : l'oratorio de Haydn est bien davantage un feu d'artifice en forme de louange reconnaissante au Créateur qu'une réflexion mystique ou abyssale sur l'origine du monde.
 
L'évocation initiale du « chaos », explicite tableau en musique, fut comme il se doit sous-tendue de timbres « incolores », jusqu'à l'explosion attendue et toujours saisissante : « … et la lumière fut ! ». Sans lumière, pas de couleurs. À vrai dire, les premiers instants témoignèrent d'un enthousiasme vocal et instrumental qui ne donna pas d'emblée le sentiment d'être pleinement canalisé – débordement de ferveur, sans doute, au premier jour de la Création… Après quoi l'orchestre, ou plus exactement les cordes, conserva jusqu'à l'entracte une certaine verdeur de ton, incomplètement compensée par la rondeur volubile de vents virtuoses et affables, jusqu'à ce qu'un accord manifestement plus satisfaisant redonne un bel équilibre à l'ensemble durant toute la seconde moitié du concert.
 

Omo Bello, Rémy Mathieu & Sévag Tachjian © Georges Berenfeld YouriB
 
L'équilibre se joue aussi entre les interventions du chœur, d'une belle impétuosité, généreuses et jubilatoires, et le trio de solistes. Jeunesse et vitalité étaient de même au rendez-vous avec trois musiciens de première force et fraîcheur. La soprano Omo Bello : Gabriel et Ève à la voix souple et égale pour une projection affirmée ; le ténor Rémy Mathieu : Uriel au timbre attachant, phrasant avec aisance et une parfaite élégance ; le baryton Sévag Tachdjian : noble et sonore Raphaël puis Adam d'une humanité réjouissante. On sait combien l'œuvre est vocalement et stylistiquement exigeante, avec la constante alternance de récitatifs et d'airs, réalisée avec panache et agilité par les trois solistes, d'une lumineuse présence.
Le sourire de Raphaël fit naturellement merveille dans l'évocation du bestiaire (« le lion rugissant […] le tigre ardent […] tandis qu'en rampant se traîne sur la terre le serpent »), mais aussi Uriel dans son ultime intervention, entre le délicieux duo d'Adam & Ève et le chœur final : « Couple heureux et pour jamais heureux… », modèle de sobre éloquence dans la bouche de Rémy Mathieu, à mi-chemin entre tragédie lyrique et dialogue parlé de l'opéra français du XIXe siècle parallèlement en devenir.

Jean-Philippe Sarcos et ses musiciens ont donné trois soirs de suite La Création, d'abord dans l'acoustique imposante de Saint-Louis-des-Invalides puis dans celle, ô combien différente, de cette Salle du Conservatoire d'Art Dramatique : on imagine le redoutable défi d'adaptation musicale que représente de tels contraires en matière de projection sonore, qu'il s'agisse de la transmission du texte déclamé ou chanté mais aussi, en élargissant à l'ensemble, de la composition musicale dans tous ses aspects.

 
 
Michel Roubinet

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Paris, Salle du Conservatoire d’Art Dramatique, 15 avril 2016
 
 
(1www.concertclassic.com/article/le-palais-royal-au-conservatoire-national-dart-dramatique-la-bible-en-images-compte-rendu
 
(2www.concertclassic.com/article/le-palais-royal-interprete-haendel-au-conservatoire-dart-dramatique-radieux-compte-rendu
 
(3www.concertclassic.com/article/le-palais-royal-en-lhotel-de-poulpry-tel-beethoven-chez-le-prince-lobkowitz-compte-rendu
 
 
 
Site du Palais Royal : le-palaisroyal.com
 

 
Photo © Georges Berenfeld YouriB 

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