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Il paradiso perduto de Luigi Manza en recréation à l’Auditorium de Lyon – L’Eden ressuscité – Compte-rendu

Réveiller les belles endormies, telle est la mission de plus d’un ensemble baroque. Pour s’acquitter de cette noble tâche, le Concert de l’Hostel Dieu n’a pas à aller chercher bien loin, puisque la Bibliothèque municipale de Lyon est riche de manuscrits qui ne demandent qu’à être rejoués. Franck-Emmanuel Comte a ainsi découvert un Oratorio di Adamo dû à Luigi Manza ou Da Mancia (1657-1719), partition superbement copiée et dont la création eut vraisemblablement lieu à Modène en 1698, selon l’enquête menée par le musicologue Marco Bizarrini.

Le chef s’est autorisé à rebaptiser l’œuvre, dans la mesure où Adam n’y joue pas un rôle plus important que les autres protagonistes, et c’est sous le titre très miltonien de Paradis perdu qu’elle a été recréée ce lundi 21 mars à l’Auditorium de Lyon. Bien entendu, le livret – anonyme – suit un déroulement assez prévisible, mais l’on remarque tout de même le caractère philosophico-théologique du débat qui s’engage entre Eve et le Serpent lorsqu’il s’agit convaincre la dame de goûter au fruit défendu. Une fois le péché originel commis, l’oratorio prend un ton élégiaque, nos ancêtres humains déplorant longuement leur erreur, entre un air vengeur chanté par Dieu et l’allégresse du Serpent triomphant. On s’étonne de l’introduction de références païennes (Hécate, l’Olympe…) dans ce récit biblique, le plus surprenant restant néanmoins l’intervention d’un personnage inattendu, la Mort, qui bénéficie d’un air virtuose très développé.
 

© DR

L’écriture de Da Mancia semble particulièrement inventive pour les instruments, qu’il combine de manière parfois assez inédite pour son temps ; le compositeur ne montre pas d’exigences extrêmes pour les voix (en dehors de l’air de la Mort évoqué plus haut), et on se dit qu’un peu plus de contraste dramatique n’aurait pas été malvenu pour soutenir l’intérêt. Franck-Emmanuel Comte n’en souligne pas moins les réelles beautés de la partition, avec son évocation des charmes du jardin d’Eden dans la première partie, la musique s’efforçant d’imiter la flore et la faune paradisiaque. Bien que, pour cette recréation, le Concert de l’Hostel Dieu compte près d’une trentaine d’instrumentistes, on se dit d’abord que l’Auditorium de Lyon est une salle beaucoup trop vaste pour ce type d’œuvre. L’oreille s’habitue peu à peu, mais cette acoustique ne convient pas également à tous les chanteurs, certains ayant une projection plus apte à surmonter cette difficulté. Le concert doit déboucher sur un enregistrement audio chez Aparté, et dans la mesure où il est filmé, des tubes LED suspendus parmi les musiciens créent une ambiance (verte d’abord, rouge ensuite) complétée par l’emploi de fumigènes au début de chaque partie, les personnages divins bénéficiant d’un maquillage censé souligner leur dimension surhumaine.
 

Dagmar Šašková et Franck-Emmanuel Comte © DR

Même si on ne l’entend qu’une fois, avant l’entracte, Dagmar Šašková fait très forte impression, par sa maîtrise des cascades de vocalises de l’air de la Mort, par sa manière d’habiter le rôle et par l’aisance avec laquelle sa voix emplit l’espace de l’Auditorium. Dans le rôle de Dieu, Fabien Hyon parvient lui aussi à s’imposer, surtout lorsqu’il exprime son courroux, soutenu par les trompettes et les vents. L’Ange qui chasse les pécheurs du paradis n’a droit qu’à un air, et Ana Vieira Leite ne peut pas rendre le personnage plus expressif que la musique ne le prévoit. Remplaçant in extremis le titulaire initialement prévu, Virgile Ancely est un Serpent d’abord doucereux, puis allègre, mais Da Mancia n’a manifestement pas voulu en faire un cousin du Satan de Milton. Ceux que la partition flatte le plus, ce sont Adam et Eve, confiés à deux voix aiguës très proches l’une de l’autre, souvent en duo : Céline Scheen est un Adam éloquent, mais dont le disque sera sans doute plus à même de refléter les charmes, la voix perdant un peu de sa netteté dans cette immense salle ; bel Orlofsky d’une récente Chauve-souris au CNSMDP, Floriane Hasler est un Eve touchante, même si le rôle lui offre peu d’occasions d’utiliser son registre grave.
 
Laurent Bury
 

Luigi Da Mancia : Il paradiso perduto — Lyon, Auditorium, 21 mars 2022

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