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​Così fan tutte selon Marie-Ève Signeyrole à l’Opéra de Lyon – Travaux pratiques en amphi – Compte rendu

 
Dans les universités, les amphithéâtres sont en principe réservés aux cours magistraux : on y parle ex cathedra, comme le dit justement Don Alfonso, et l’on réserve à des salles de moindres dimensions les TD en petits groupes. Pour sa mise en scène de Così, Marie-Eve Signeyrole a néanmoins imaginé qu’à « l’école des amants », sous-titre donné par Da Ponte à son livret, les travaux pratiques pourraient avoir lieu dans un de ces grands espaces composés de gradins. Son décorateur attitré, Fabien Teigné, a donc imaginé un amphi de bois où prennent place des élèves des Beaux-Arts pour peindre, dessiner et écouter leur professeur de philosophie se lancer dans une expérience concrète sur la nature des sentiments amoureux.
 

© Paul Bourdrel 

Un amphi pas comme les autres, toutefois, puisqu’il se divise, s’agrandit, se recompose tout au long de la soirée (avec l’aide d’une impressionnante équipe de techniciens) pour s’ouvrir sur l’extérieur – quelle belle image que cette promenade nocturne à bicyclette pour « Di scrivermi ogni giorno » – ou accueillir des espaces divers, avec tables de travail ou lavabos. Des écrans descendent aussi des cintres, pour accueillir les vidéos tournées en temps réel ou afficher l’intitulé des étapes successives et le découpage chronologique de l’expérience, l’action étant répartie non plus sur un seul jour, mais sur une semaine entière. Et les autres étudiants qui assistent à ces TP ne sont pas les membres du chœur – que l’on ne verra en fait jamais, leurs quelques interventions étant chantées en coulisses – mais des membres du public, « vingt couples », nous annonce-t-on, choisis pour leur crédibilité physique en termes d’âge, auxquels se joignent une dizaine de figurants qui, entre autres choses, poseront nus pour les susdits étudiants. Sans régler l’éternel problème des deux amants rendus méconnaissables (que seule avait résolu la production de Christophe Honoré, en transformant des colons italiens en Erythréens colonisés), la mise en scène explore avec souplesse et liberté les intermittences du cœur, y compris des pistes que ne prévoyaient pas forcément Mozart et Da Ponte, Dorabella se découvrant notamment un très vif intérêt pour Despina.
 

© Paul Bourdrel
 
Evidemment, cette petite manipulation du livret entraîne aussi quelques bouleversements dans la partition, par l’introduction de texte parlé – il faut bien que Don Alfonso présente l’expérience à laquelle il souhaite se livrer – et par la suppression de plusieurs passages de récittatifs et, de façon moins explicable, d’au moins deux numéros chantés : « E la fede delle femmine » serait-il trop sexiste pour être encore interprété aujourd’hui ? (mais alors, pourquoi laisser, entre autres, Despina dire que tous les hommes se valent, puisque aucun d’eux ne vaut rien ?), et le quatuor « La mano a me date ». A la tête de l’orchestre de l’Opéra de Lyon, Duncan Ward mène rondement son affaire, et permet aux chanteurs quelques ornements discrètement introduits ici et là.
Parmi les six solistes, deux italophones ont judicieusement été choisis pour le tandem Alfonso-Despina : Simone Del Savio, aussi à l’aise pour le parlé que pour le chanté, a la faconde nécessaire pour son personnage, plus meneur de jeu que jamais, tandis que Giulia Scopelliti campe une Despina narquoise et revendicative, dont on n’est pas près d’oublier l’intervention en médecin. Pour le couple Dorabella-Guglielmo, on retrouve Deepa Johnny, la Carmen révélée par le Palazzetto Bru Zane à l’Opéra de Rouen, au timbre séducteur, le baryton Ilya Kutyukhin lui donnant la réplique avec une autorité que l’on pourrait parfois souhaiter plus souriante, mais une réelle émotion est transmise par leur duo.
 
Les rôles les plus exposés sont néanmoins Ferrando et surtout Fiordiligi. Après être passé par l’Opéra Studio de Lyon, Robert Lewis confirme ses promesses : après « Un’ aura amorosa » qu’on voudrait plus serein, le ténor gallois s’impose dans « Tradito, schernito » et par une virtuosité sans faille. Quant à Tamara Banješević, elle a d’emblée cette hauteur de ton qui convient au personnage et, malgré sa silhouette juvénile et presque frêle, elle confère à Fiordiligi une âpreté inédite dans le grave et une ardeur bienvenue, « Come scoglio » et « Per pietà » étant chaleureusement applaudis comme des sommets de cette soirée.
 
Laurent Bury

 
 
Mozart : Così fan tutte – Lyon, Opéra, 14 juin ; prochaines représentations les 16, 18, 20, 22 & 24 juin 2025 // www.opera-lyon.com/fr/programmation/saison-2024-2025/opera/cosi-fan-tutte-1
 
Photo © Paul Bourdrel
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