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​Gosse de riche de Maurice Yvain à l’Athénée – Indispensables Frivos ! – Compte-rendu

Que ferait-on sans Les Frivolités Parisiennes ? Après l’irrésistible Coup de roulis de Messager, transfiguré au printemps 2023 par la mise en scène de Sol Espeche (1), voici le grand retour de cet ensemble irremplaçable, pour un titre un peu moins resté dans les mémoires : Gosse de riche, de Maurice Yvain (1891-1965), compositeur dont les « Frivos » avaient proposé Là-Haut en 2021.(2) Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, c’est à nouveau à Pascal Neyron qu’est confiée cette production.(3)
 

de g à dr. : Lara Neumann (Suzanne Patarin), Amélie Tatti (Colette Patarin), Philippe Brocard (Achille Patarin), Julie Mossay (Nane), Marie Lenormand (Baronne Skatinkolowitz), Charles Mesrine (Léon Lézaize) et Aurélien Gasse (André Sartène) © Camille Girault

En voyant ce spectacle, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi l’opérette a longtemps pâti d’une image de ringardise, mais la réponse est simple : parce qu’on l’a longtemps montée – et qu’on l’a monte parfois encore, hélas – comme le théâtre de boulevard le plus démodé. L’intelligence des metteurs en scène que sollicitent Les Frivolités Parisiennes consiste précisément à dépasser cette image poussiéreuse, et à se débarrasser des oripeaux fanés pour montrer comment ces œuvres nous parlent encore.
Sans transposition abusive, mais en écartant le réalisme conventionnel au profit d’une fantaisie qui magnifie autant la satire du livret que la poésie de la musique. Bien sûr, nous sommes dans un univers de maris infidèles, de maîtresses cupides et de cocus plus ou moins complaisants, mais ce n’est finalement qu’un prétexte pour dépeindre une société en joyeuse déliquescence, même le couple de jeunes premiers n’échappant pas tout à fait au ridicule. Les dialogues et les lyrics conçus par messieurs Jacques Bousquet et Henri Falk n’ont rien perdu de leur caractère percutant, la musique de Maurice Yvain est inventive, pimpante, raffinée, et l’on ne voit pas passer les deux heures de ce spectacle sans entracte, pendant lesquelles on rit comme on voudrait toujours rire à la comédie.
 

Amélie Tatti (Colette Patarin) © Camille Girault

Pas de chef d’orchestre, les instrumentistes des Frivolités Parisiennes se dirigent tout seuls dans la petite fosse de l’Athénée (le dossier de presse précise bien : « Production musicale menée sans chef d’orchestre »), mais le résultat est impeccable, la partition originale ayant été conçue pour un orchestre réduit, comme le précise le non moins indispensable Christophe Mirambeau. Sur scène, les costumes sont fantaisistes, et les décors sont sobres, sans chercher à créer l’illusion : les éclairages soulignent au contraire l’artificialité des situations, le tout se déroulant à une époque récente mais indéterminée. Les téléphones fixes sont bien là, nécessaires à l’action, mais le troisième acte confine à l’abstraction, avec ce cadre doré dans lequel les personnages attendent d’entrer en scène. Certains déplacements nous transportent eux aussi dans un univers de pure théâtralité (c’est sans doute la contribution de la chorégraphe Aure Wachter). Pour autant, les personnages sont bien ancrés dans le réel par leurs calculs sordides – ah, l’air de la baronne, « Combine » ! – et admirablement servis par une équipe de chanteurs-acteurs.
 

© Camille Girault

On retrouve dans la distribution un certain nombre de figures connues. Commençons par saluer bien bas l’inénarrable baronne de Marie Lenormand : on connaissait son potentiel comique depuis Le Testament de la tante Caroline en 2019 (déjà les Frivos, déjà Pascal Neyron) (4), mais elle explose littéralement dans Gosse de riche, dans ce rôle haut en couleurs, dont elle sait exploiter les moindres ressources. Lara Neumann n’est pas non plus une inconnue : on l’a applaudie dans les productions des Brigands, puis du Palazzetto Bru Zane ; elle s’empare admirablement du personnage de Suzanne Patarin, l’épouse d’abord un peu sotte, qui se déniaise au dernier acte. Philippe Brocard s’était fait remarquer dans Coups de roulis, et son timbre glorieux fait ici merveille, joint à son talent d’acteur, pour le personnage du très suffisant Patarin. Charles Mesrine et Aurélien Gasse, déjà présents dans Le Testament de la tante Caroline, savent conférer une épaisseur à leurs rôles respectifs. Julie Mossay est parfaite en grue rendue respectable par un mari temporaire. Quant à Amélie Tatti dans le rôle-titre, si la voix n’est pas très puissante, elle n’en a pas moins la fraîcheur nécessaire, et elle sait rendre sympathique l’enfant gâtée devant qui tout doit céder.

Un bonheur ne venant jamais seul, signalons que l’enregistrement par Les Frivolités Parisiennes de Yes !, autre succès de Maurice Yvain, sort le 22 mars prochain chez Alpha.(5)  

Laurent Bury

 

Yvain : Gosse de riche – Paris, Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 8 mars ; prochaines représentations les 9, 10, 12, 13, 15, 16 & 17 mars 2024 // www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/gosse-de-riche.htm
puis le 22 mars 2024 à Compiègne (Théâtre Impérial) // www.theatresdecompiegne.com/gosse-de-riche-485
et le 24 mars 2024 à Reims (Opéra) // operadereims.com/event/gosse-de-riche/

Photo © Camille Girault 

(1) www.concertclassic.com/article/coups-de-roulis-dandre-messager-latelier-lyrique-de-tourcoing-au-theatre-de-lathenee-du-10

(2) www.concertclassic.com/article/la-haut-de-maurice-yvain-par-les-frivolites-parisiennes-lathenee-ira-tous-au-paradis-compte

(3) Pascal Neyron, qui était déjà à l’œuvre en 2017 pour une production plus modeste mais très réussie toutefois de Gosse de riche au Théâtre de Trévise : www.concertclassic.com/article/gosse-de-riche-de-maurice-yvain-au-theatre-trevise-la-fille-de-lamant-de-la-maitresse-ou-le

(4) www.concertclassic.com/article/le-testament-de-la-tante-caroline-dalbert-roussel-par-les-frivolites-parisiennes-lathenee-la  // Disponible en CD (Naxos 8.660479)

(5) 2 CD Alpha 974 // outhere-music.com/en/albums/maurice-yvain-yes

Photo © Camille Girault

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