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​Coups de roulis d’André Messager à l’Atelier lyrique de Tourcoing (au théâtre de l’Athénée du 10 au 19 mars) – La croisière s’amuse, et nous encore plus ! – Compte-rendu

Après avoir assisté à l’unique représentation de Coups de roulis donnée à Tourcoing, après la création du spectacle à Compiègne, et avant son arrivée à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet pour une demi-douzaine de représentations, on se demande pourquoi l’ultime opérette (1928) d’André Messager (1853-1929) n’est pas donnée plus souvent. Après avoir ri aux éclats pendant deux heures, on pourrait en effet croire que cela va de soi, qu’il n’y a qu’à prendre la partition, qu’à laisser faire l’orchestre et les chanteurs, pour que tout le monde soit content.
 

© Les Frivolités Parisiennes

Erreur ! Si Coups de roulis remporte un tel succès, c’est d’abord grâce à la formidable mise en scène de Sol Espeche. Si savoureux que soit resté le texte d’Albert Willemetz, il ne serait que trop facile de l’enterrer dans la naphtaline Troisième République, dans les conventions boulevardières d’amourettes cousues de fil blanc. L’intrigue n’a en effet rien de renversant : le cuirassé Montesquieu, où la jeune Béatrice, courtisée par le commandant Gerville, s’éprend de l’aspirant Kermao, tandis que son père, le ministre Puy-Pradal, succombe aux charmes de l’actrice Sola Myrrhis lors d’une escale prolongée en Egypte. D’où l’excellente idée d’en rajouter dans le prévisible en transportant tout cela dans l’univers ultra-codé du soap opera, et l’on pense immédiatement à La Croisière s’amuse, grâce aux réjouissants looks « eighties » des personnages. Qu’on ne s’attende pourtant pas à une simple transposition paresseuse : si le public est plié de rire, c’est parce que Sol Espeche sait détourner tous les poncifs, avec des gags qu’on s’en voudrait de divulgâcher ici. Et loin d’être esclave de cette clef de lecture, elle sait s’affranchir de toute contrainte, grâce au décor d’Oria Puppo, qui réduit le navire à une structure métallique évoquant ponts et gréements, ou grâce aux costumes de Sabine Schlemmer, qui inversent allègrement les stéréotypes (ce sont ici les messieurs qui montrent leurs gambettes).
 

© Les Frivolités Parisiennes

Coups de roulis, c’est aussi beaucoup de bien belle musique, où Messager unit à la délicatesse de Fortunio l’élégance de Véronique ou la séduction de L’Amour masqué. Dans la fosse du Théâtre municipal de Tourcoing, l’orchestre des Frivolités Parisiennes a toute la place pour se déployer, à nouveau sous la direction d’Alexandra Cravero, dont on avait remarqué la baguette experte lors des représentations du Voyage dans la lune à l’Opéra-Comique. Une fois encore, la cheffe trouve exactement le ton qui convient, et se fait la complice de toutes les inventions de la mise en scène. Le chœur des Frivolités apparaît au deuxième acte, lors de la fête égyptienne, et on salue au passage l’intelligence du traitement qui lui est réservé, les six dames qui le compose se voyant chacune accorder un personnage.
 

Alexandra Cravero © Karen Almond - Dallas Opera

Quant aux solistes, ils sont tous idéalement distribués et brillent sans qu’aucun tire la couverture à soi, comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Sol Espeche réussit à caractériser chacun des officiers présents à bord, et il ne faut pas longtemps pour que le public distingue Haubourdin (Mathieu Septier) de Muriac (Célian d’Auvigny) ou Subervielle (Matthias Deau) de Bellory (Maxime Le Gall), ce dernier tenant aussi le court rôle de l’Amiral, qui devient ici un assez irrésistible vieillard. Le matelot trouve en Guillaume Beaudoin un interprète de vif-argent, auquel son accent québécois prête un degré supplémentaire de drôlerie pour le public français. Sa compatriote Irina De Baghy fait de Sola Myrrhis une sorte de Castafiore carnassière, avec toute la démesure qu’appelle le personnage. On est ravi que Philippe Brocard confère au commandant Gerville toutes les demi-teintes qui s’imposent pour chanter son bel air de la Quarantaine. Christophe Gay est un Kermao au timbre enveloppant, tandis que Clarisse Dalles trouve en Béatrice un rôle qui met en valeur ses meilleures qualités. Succédant à Raimu qui créa le rôle en 1928, Jean-Baptiste Dumora est un inénarrable Puy-Pradal, ministre qui dénonce la gabegie pour mieux gaspiller l’argent du contribuable.
 

Interprètes adéquats et mise en scène audacieuse : voilà comment il faut traiter ce répertoire pour qu’il nous parle. Longue vie aux Frivolités Parisiennes !

Laurent Bury

André Messager : Coups de roulis – Tourcoing, Théâtre municipal, 5 mars ; prochaines représentations les 10, 11, 14, 15, 18 et 19 mars 2023 à Paris / Athénée Théâtre Louis-Jouvet : www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/coup-de-roulis.htm
 
Photos (prises au Théâtre Impérial de Compiègne) © Les Frivolités Parisiennes

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