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​Festival Présences 2021 - Ouverture rétrospective et temps fort – Compte-rendu

C’est à une manière de rétrospective que s’est donné le concert d’ouverture du Festival Présences à l’Auditorium de la Maison de la Radio. Mais pour petit effectif, et dans une continuité qui tient presque de la mise en scène. Ce caractère de chambre convient du reste aux circonstances, en l’absence de public, sauf la vingtaine de journalistes et professionnels invités. C’est ainsi que les pièces musicales brèves se succèdent, entrecoupées d’entretiens menés par Clément Rochefort (puisque nous sommes en direct sur France Musique) avec Pascal Dusapin, le compositeur célébré par cette édition du Festival Présences, comme avec les interprètes. Ce qui offre l’occasion de meubler les déménagements de pupitres et d’instruments entre deux exécutions musicales (tic de la musique contemporaine !). S’ajoutent quelques autres passages parlés, à partir de textes poétiques dits par la comédienne Florence Darel (madame Dusapin à la ville) et Anton Dusapin (fils de Pascal et Florence). Une manière de mise en scène disions-nous …
 
Pascal Dusapin © Christophe Abramowitz

La matière de la soirée s’y prête, qui défile cinq pages de Dusapin, comme une façon de panorama de son esthétique, associées à une référence contemporaine en hommage à Paul Méfano (disparu le 15 septembre dernier), un clin d’œil à la toute jeune génération (Amy Crankshsaw) et l’héritage (Buxtehude, Schubert, musique traditionnelle extra-européenne). En tout une douzaine d’œuvres de 3 à 15 minutes chacune, pour une soirée tout de même de près de trois heures (tout compris) !
 
La Vita sognata constitue une création mondiale et commande de Radio France (et de l’ensemble Accroche Note) à Dusapin, comme il se doit. L’œuvre se destine à une soprano (chantant des textes de la poétesse italienne Antonia Pozzi, suicidée à l’âge de 25 ans en 1938), avec le soutien d’une petite formation de neuf instruments. Françoise Kubler livre le chant avec un lyrisme de circonstance devant l’ensemble Accroche Note dirigé d’une battue sûre par Franck Ollu, pour cette œuvre qui manie timbres instrumentaux et vocaux.
 
Autre création et autre commande de Radio France, cette fois à Amy Crankshaw, née en 1991 en Afrique du Sud et installée à Londres : Crepuscular, pour piano solo évanescent sous les doigts déliés de Vanessa Wagner (dédicataire de l’œuvre). Place aussi à l’hommage à Paul Méfano, avec le lumineux Jades, daté de 2002 pour flûte, clarinette, guitare et deux violoncelles venus de l’ensemble 2e2m (que Méfano avait fondé et dirigé) sous la direction de Léo Margue. Il y a donc également quatre classiques, pourrait-on dire, de Dusapin : Attaca, forme de sonnerie pour deux trompettes et timbales (Célestin Guérin, Javier Rossetto et Rodolphe Théry), datée de 1991 ; Immer, pour violoncelle (Sonia Wieder-Atherton), crépusculaire page datée de 1997 ; un extrait de O Mensch, d’après Nietzsche, daté de 2009, en forme de lied mélancolique pour baryton (Paul Gay) et piano (V. Wagner) ; et enfin Anacoluthe, daté de 1988, pour soprano (F. Kubler), clarinette et contrebasse, sur un texte d’Olivier Cadio mené dans un récitatif théâtral.
 

Alain Altinoglu © Christophe Abramowitz
 
Ponctuent aussi la soirée : une Toccata et une Passacaille de Buxtehude, emportées à l’orgue du Grand Auditorium de la Radio par les mains et pieds experts de Bernard Foccroulle (par ailleurs le compositeur que l’on sait et compagnon de route de Dusapin) ; trois lieder du Winterreise de Schubert, ardemment lancés par Paul Gay devant le piano ductile de V. Wagner ; et une courte incursion exotique avec un chant traditionnel égyptien transmis au violoncelle par S. Wieder-Atherton… Une soirée diverse, à l’image de ce compositeur divers qu’est Dusapin et diverse comme le sont ses inspirations.
 

Olivier Latry © Jean-Baptiste Millot

Autre soirée, et temps fort de ce festival, le concert dans la grande salle de la Philharmonie de Paris, quasi déserte hors quelques invités, mais avec l’Orchestre philharmonique de Radio France en grande formation. Le déploiement instrumental est l’occasion de donner corps à l’importante création (et commande de Radio France) de Dusapin, Waves, Duo pour orgue et orchestre. Après un début de couleur impressionniste, lancé par deux trompettes dans l’espace en partie haute de l’auditorium, la texture évolue vers une forme expressionniste piquée de quelques violences. Le grand orgue de la Philharmonie (si rarement mis à contribution ...) se fait fondu ou dialoguant, soliste ou timbre de l’orchestre. Une partition oscillante (loin de l’esprit de Saint-Saëns et autres symphonies avec orgue), bien que peu évocatrice des vagues qui portent son intitulé, transmise avec fougue par un organiste talentueusement subtil (Olivier Latry) et un orchestre survolté sous la direction emportée d’Alain Altinoglu. Le début de concert fait place à une autre création (et autre commande de RF), cette fois de la jeune compositrice Diana Syrse (photo), née en 1984 et originaire du Mexique : Géante rouge, brève pièce percussive et vrombissante par un Philhar démultiplié. Et pour achever en apothéose la soirée, le Concerto pour orchestre de Bartók mené dans une sorte de souffle épique, confirme les vertus interprétatives de l’orchestre et du chef dans ce classique du répertoire d’une facture tout aussi moderne. Preuve, s’il en fallait, que la musique dite contemporaine s’inscrit dans l’héritage des temps passés.
 
Pierre-René Serna

Paris, Auditorium de la Maison de la Radio, 2 février / Grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris, 5 février 2021.
www.maisondelaradio.fr/festival-presences-2021-pascal-dusapin

Disponible en replay : 
- Concert du 2 févrierwww.facebook.com/FranceMusique/videos/520970919282980/
- Concert du 5 février en son 3Dwww.francemusique.fr/emissions/le-concert-de-20h/concert-4-festival-presences-2021-syrse-dusapin-et-bartok-par-le-philhar-et-alain-altinoglu-91571

Photo © Astrid Ackermann

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