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Fantasio d’Offenbach à l’Opéra-Comique – Les enfants de Carné – Compte-rendu

Lever le rideau dès les premières mesures de l’ouverture n’est pas un choix facile, mais pour la production de Fantasio, créée au Châtelet en 2017, durant les travaux de la salle Favart, et qui arrive enfin à l’Opéra-Comique, Thomas Jolly réussit à créer d’emblée un climat sombre et poétique, une atmosphère qui transporte le spectateur dans un monde proche de celui des films de Marcel Carné, Le Jour se lève ou Quai des brumes. Par le passé, certaines mises en scène ont montré Fantasio comme une sorte de Deburau renvoyant à Jean-Louis Barrault dans Les Enfants du paradis, mais avec sa marinière sous la veste, le héros ressemble ici davantage à William Kramps, le tueur de dame de Drôle de drame. La Bavière imaginée par Alfred de Musset (et revue par son frère Paul, devenu librettiste) devient un univers nocturne où des structures mobiles permettent de multiplier les espaces de jeu en fonction des besoins, avec cette attention particulière qui est toujours portée à la lumière dans les spectacles de Thomas Jolly. Et si la poésie de l’œuvre est respectée, les aspects comiques ne sont pas oubliés pour autant, avec un juste équilibre des deux composantes.
 

© laurent-campellone.com

Dans la fosse, la direction toute en finesse de Laurent Campellone révèle tous les trésors d’une œuvre admirable et pourtant restée négligée pendant un siècle (essentiellement faute d’une partition utilisable pour la jouer). Ainsi interprété, Fantasio (1872) se confirme comme un des chefs-d’œuvre de la dernière période d’Offenbach, où l’on entend déjà ce romantisme qui triomphera dans Les Contes d’Hoffmann, et l’on se dit qu’il serait temps de prêter une oreille attentive à ses autres compositions destinées à l’Opéra-Comique, Robinson Crusoé ou Vert-Vert, entre autres. L’Orchestre de chambre de Paris rend parfaitement justice aux différents passages instrumentaux, et l’ensemble Aedes incarne le peuple de Munich, très présent aux premier et troisième actes, avec une vigueur qui n’exclut pas la sensibilité.
 

© S. Brion
 
Les solistes, presque tous nouveau-venus pour cette reprise, s’avèrent assez idéalement choisis. Commençons par les « revenants ». Le comédien Bruno Bayeux cumule divers rôles parlés, il en fait parfois des tonnes, mais on ne résiste pas à sa drôlerie. Jean-Sébastien Bou trouve dans le  Prince de Mantoue une belle occasion de déployer son aisance dans l’aigu et sait se montrer comique sans jamais tomber dans la caricature. Franck Leguérinel, enfin, parvient à conférer une épaisseur au personnage du roi, relativement sacrifié par le livret.
Autour d’eux, des prises de rôle réussies, avec notamment le Sparck virevoltant de Thomas Dolié, d’une aisance étonnante alors qu’on lui demande faire l’acrobate tout en chantant, ou la très amusante Flamel d’Anna Reinhold. François Rougier a finalement assez peu à faire en Marinoni, mais le fait bien.
 

S. Brion

Enfin, les deux têtes d’affiche réalisent un sans faute : Jodie Devos est une Elsbeth idéale, actrice toujours subtile et ici fort bien dirigée, maîtresse de la virtuosité autant que de l’émotion. Quant à Gaëlle Arquez, elle semble en Fantasio plus à l’aise que dans sa Carmen d’il y a quelques mois, la beauté de son timbre se mariant fort bien à celui de la soprano, dans ces duos qui constituent autant de sommets de la partition. Voilà donc une reprise extrêmement bienvenue en cette période festive, et l’on souhaite à l’Opéra-Comique bien d’autres triomphes du même genre.

 
Laurent Bury
 

Offenbach, Fantasio – Paris, Opéra-Comique, 13 décembre ; prochaines représentations les 15, 17, 19, 21 & 23 décembre 2023 // concertclassic.fnacspectacles.com/place-spectacle/ticket-evenement/opera-fantasio-manoc3fa-lt.htm
 
Photo © S. Brion

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