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​Cendrillon de Pauline Viardot par La co[opéra]tive (en tournée jusqu’au 2 avril 2026) – Viardot + Lescot = Rigolo – Compte rendu

 
Il n’est pas certain que l’opéra de chambre que Pauline Viardot fit créer en 1904 dans un salon parisien ait été revu en région parisienne depuis les représentations de 2013 à l’Opéra-Comique, qui n’avaient guère marqué les esprits. Certes, cette partition de format léger (d’une durée inférieure à une heure, l’œuvre n’exige pas de gosiers particulièrement aguerris) sied bien aux opéras-studios et autres académies réunissant de jeunes artistes, mais il n’en est pas moins souhaitable qu’elle soit servie avec les mêmes ambitions que l’on pourrait concevoir pour des titres plus lourds.

 

 © Christophe Raynaud de Lage

 
Jubilatoire dépoussiérage
 
Grâce au nouveau projet de la co[opéra]tive, cette petite cousine de Cenerentola et de la Cendrillon de Massenet va connaître un sort enviable, promenée à travers les théâtres de France et de Navarre (jusqu’au 2 avril prochain). Indépendamment de l’engouement pour les compositrices, la partition le mérite, par son immense séduction mélodique : les mélodies de Pauline Viardot (1821-1910), désormais bien connues, prouvent que l’illustre chanteuse savait aussi écrire pour les voix. Et si l’on pouvait concevoir des craintes face au « dépoussiérage » promis, le résultat est tellement jubilatoire que toute réserve se dissipe.

 

 © Christophe Raynaud de Lage

Un quatuor de multi-instrumentistes 
 
Plusieurs bonnes fées se sont penchées sur le berceau de la jouvencelle un peu plus que centenaire. D’abord, au piano seul prévu par Viardot, on a substitué quatre instruments, non, quatre instrumentistes qui ont recours à plusieurs claviers, pour la cheffe Bianca Chillemi, totalement investie dans ce projet, à plusieurs vents pour le clarinettiste Vincent Lochet, et à toute une gamme de percussions pour Valentin Dubois – si Marwane Champ joue d’autre chose que du violoncelle, avouons que cela nous a échappé. Jérémie Arcache a conçu pour eux bien plus qu’un simple arrangement, car ce quatuor assure également bruitages, musiques d’ambiance et interventions savoureuses autant que diverses où passent parfois de brèves citations (Une barque sur l’océan de Ravel, et bien d’autres).

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 © Christophe Raynaud de Lage
 
 
Réécriture sans trahison
 
A ce rajeunissement coloré de la partition fait écho le traitement réservé au texte par David Lescot, qui l’a très largement réécrit, sans le trahir pour autant. Les morceaux musicaux s’y insèrent comme prévu, mais les répliques acquièrent une drôlerie qui n’est pas étrangère à l’esprit de Pauline Viardot, dont l’un des principaux apports à une histoire bien connue est d’avoir fait du père de Cendrillon un ancien épicier qui a fait vingt ans de prison. Ainsi modernisée, la pièce passe comme une lettre à la poste, notamment auprès du jeune public qui est visé au même titre que les adultes. On retrouve ici tout ce qui faisait le prix de « La princesse au petit pois », le premier des Trois Contes de Gérard Pesson, dont David Lescot avait rédigé le livret et assuré la mise en scène.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 
Une distribution aux petits oignons

Quant à la distribution, elle réunit une alléchante brochette de chanteurs francophones. Olivier Naveau est un cocasse baron-épicier, et l’on ne peut s’empêcher, à la sortie du théâtre, de fredonner l’entêtante chansonnette dans laquelle il raconte son curieux passé. Plus à l’aise ici en faux prince Charmant qu’en vrai dans les Contes de Perrault de Fourdrain, Enguerrand de Hys est déchaîné en comte Barigoule, et cela lui va fort bien. Et l’on découvre en vrai prince un autre ténor, Tsanta Ratia – aurait-il une parenté avec son compatriote Sahy ? – qu’on aimerait entendre dans un rôle plus développé. On avait admiré Lila Dufy en Dircé de Médée à l’Opéra-Comique : on retrouve sa maîtrise de la colorature et l’on apprécie son humour en fée-marraine. Clarisse Dalles, méconnaissable en méchante, est aussi drôle que dans Coup de roulis, et sa « sœur » Romie Estèves ne l’est pas moins ; lors du bal chez le prince, la partition prévoit que la Fée chante l’air de son choix, mais ce sont elles qui, ici, se partagent l’air d’entrée de Donna Elvira. Apolline Raï-Westphal prête au rôle-titre une douceur angélique et un timbre d’une grande pureté, et cette production lui réserve une occasion de briller que Pauline Viardot n’avait pas prévue : lors du bal, après que ses sœurs ont donné de la voix, elle se lance – sans l’annoncer, c’est bien mieux – dans une interprétation déjantée de la célèbre Stripsody de Cathy Berberian, pour le plus grand bonheur des spectateurs.
 
Près d’une cinquantaine de dates (et 73 représentations au total en raison de nombreux doublés) sont programmées partout en France jusqu’au 2 avril. Dans l’immédiat c’est à Compiègne (14/11) puis à Tourcoing (20, 21, 22 / 11) que l’on peut découvrir un spectacle qui fera le bonheur du public à l’Opéra de Rennes du 27 décembre au 6 janvier. Quant à Paris, un peu de patience : l’Athénée accueillera Cendrillon du 13 au 22 mars.

Laurent Bury
 

 

 

Pauline Viardot : Cendrillon – Sénart, Théâtre,  jeudi 6 novembre 2025 // Détail de la tournée (jusqu’au 2/04/2026) :  www.lacoopera.com/tour
 

Photo © Christophe Raynaud de Lage

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