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​Armide de Gluck selon Lilo Baur à l’Opéra-Comique – Le ridicule nous rend plus fort – compte rendu

 
C’était prévisible : après avoir été une grande Alceste à plusieurs reprises, après avoir incarné une fort belle Iphigénie en Tauride, ainsi qu’en Aulide jadis, Véronique Gens poursuit son sans-faute gluckiste avec une superbe Armide, maîtresse du phrasé et toujours émouvante, magicienne amoureuse, tragédienne et humaine, dans une tessiture qui lui convient idéalement et dans un répertoire où elle connaît peu de rivales. Sur ce plan-là, tous les espoirs sont donc comblés par la série de représentations proposées en ce mois de novembre salle Favart. On enrage d’autant plus que le spectacle, lui, ne soit pas tout à fait à la hauteur de l’interprète du rôle-titre.
 
Véronique Gens (Armide), Florie Valiquette (Sidonie) & Appoline Raï-Westphal (Phénice) © S. Brion
 
Selon un syllogisme qui en vaut bien d’autres, le ridicule ne tue pas, or ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, donc le ridicule nous rend plus fort. Armide sortira alors plus forte de la mise en scène signée Lilo Baur, qui cumule gestes puérils – comment peut-on montrer la magie de manière aussi naïve et navrante ? –, moments statiques, entrées maladroites et mouvements mal réglés : il faut voir l’héroïne tourner sur elle-même, bras déployés, après « Enfin, il est en ma puissance », tandis que les artistes du chœur font, eux, le tour du plateau en courant comme ils peuvent, entraînés par trois danseurs. Au premier acte, des parois de métal et néons, qui auraient paru futuristes il y a cinquante ans, ont surtout pour but de masquer le grand arbre mort qui sera le décor de tout le reste du spectacle, un feuillage descendant des cintres pour les scènes d’enchantement.
 
Ian Bostridge (Renaud), choeur Les éléments © Stefan Brion
 
On consacre d’abord un certain temps à habiller Armide, notamment d’une traîne si incommode qu’il faut que ses suivantes la lui remonte sans cesse par-dessus les bras. La foule qui l’entoure est vêtue de costumes certes colorés mais peu seyants : riches paysans moldo-ouzbeks brandissant des fanions pour les « peuples de Damas » au premier acte, tenues dépenaillées et sourires de gentils illuminés pour les bergers, la suite de la Haine, les monstres épouvantables, les plaisirs, etc., au point qu’on se lasse vite de voir constamment revenir ces ravis de la crèche. Les lumières (signés Laurent Castaingt) sont belles, cependant, et après l’entracte, l’impression générale s’améliore. Mais quel dommage que l’extraordinaire production amstellodamoise de Barrie Kosky (2013), désormais indisponible, n’ait pu être reprise comme cela avait un temps été envisagé.
Vérionique Gens (Amide) & Appoline Raï-Westphal (Phénice) © Stefan Brion
 
Dommage, car la distribution est belle, autour de Véronique Gens. Edwin Crossley-Mercer est un Hidraot de grand luxe, auquel on n’aurait pas dû imposer des déplacements prétendant le faire passer pour un vieillard. Florie Valiquette et Apolline Raï-Westphal, suivantes d’Armide aux timbres pimpants, se partagent équitablement toutes les autres interventions qui leur sont traditionnellement confiées, la seconde bénéficiant en plus du rôle du Plaisir dans le divertissement du dernier acte. Les deux chevaliers du quatrième acte sont campés avec conviction par Philippe Estèphe et Enguerrand de Hys, la mise en scène ne pouvant toutefois éviter le ridicule lorsque le ténor apparaît une première fois en Artémidore. Renaud trouve en Ian Bostridge un interprète ambigu, au français très correct, mais dont le chant parfois haché par des respirations intempestives sent souvent l’effort, comme s’il devait mobiliser toutes les ressources de son corps pour déclamer son texte à certains moments.
Haine au crâne chauve et au sourire carnassier – serait-ce plutôt la Folie ? –, Anaïk Morel ne parvient pas toujours à mettre autant de son qu’on le voudrait dans les mots, mais encore aurait-il fallu qu’on lui en laisse le loisir, et la faute en incombe sans doute aux tempos ultra-rapides adoptés d’un bout à l’autre de la représentation (sauf, paradoxalement, à la toute fin du deuxième acte, quand les démons doivent emporter le héros « au bout de l’univers »).
 
A la tête de ses Talens Lyriques, Christophe Rousset opte pour un rythme haletant qui oblige parfois les chanteurs à des exploits en matière de diction, mais heureusement avec une fort belle palette de couleurs dans la fosse, le chœur Les éléments, dirigé par Joël Suhubiette, répondant avec un art égal, et apportant une contribution majeure à la réussite musicale de la soirée.
 
Laurent Bury
 Gluck : Armide - Paris, Salle Favart, 5 novembre ; prochaines représentations les 7, 9, 11, 13 (15h) et 15 novembre // www.opera-comique.com/fr/spectacles/armide
 
Photo : Véronique Gens (Armide) & Ian Bostridge (Renaud) © Stefan Brion
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