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​Ariane de Massenet à l’Oratoire du Louvre – De quel désamour blessée ?

Que toutes les œuvres d’un compositeur ne soient pas égales devant la postérité, on peut le comprendre. Le temps fait son ouvrage, il procède à un tri souvent nécessaire entre l’essentiel et l’accessoire. Mais il arrive aussi qu’il se trompe, et cela semble bien être le cas avec cette Ariane de Massenet. Cet été à Montpellier aurait dû enfin renaître le deuxième volet d’une sorte de diptyque lyrique conçu par Massenet, mais Bacchus devra encore attendre. Quant à Ariane, sa résurrection en 2007 à Saint-Etienne est malheureusement restée sans lendemain. C’est une injustice manifeste car cette œuvre, qui connu après sa création en 1906 pas moins de 75 représentations à l’Opéra de Paris, est une partition inspirée, dont le seul défaut est peut-être l’absence d’airs au sens traditionnel, qui l’aura desservie au moment de s’inscrire dans les mémoires. En 2012, pour le centenaire de la mort du compositeur, on avait pu entendre l’admirable final d’Ariane lors du concert Massenet donné à Garnier par les élèves de ce qui se nommait alors Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, mais l’hommage n’était hélas pas allé plus loin.
 

© FX Richard

On remerciera donc Res Lyrica d’avoir, après une Cléopâtre du même Massenet donnée en octobre 2019 Salle Cortot, d’avoir proposé mercredi 7 octobre de généreux extraits d’Ariane accompagnés avec piano (ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’entreprise est tentée : au début des années 1990, l’association La Sedira avait fait de même, avec Michèle Command dans le rôle-titre). Même sans orchestre, même sans chœur, on entend bien que cet opéra a de solides arguments en sa faveur, et même le livret dont Catulle Mendès, dont il est de bon ton de se gausser, se révèle bien moins intolérable qu’on ne le prétend. D’ailleurs, la présence d’un récitant (Gabriel Mirété) déclamant la description du décor de chaque acte rappelle que la langue sait en être poétique sans être tortueuse. Et les images conçues par François Lavaud-Mariale, qui en respecte l’esprit quitte à s’affranchir de la lettre, prouvent aussi que l’œuvre peut parfaitement susciter une transcription esthétique moderne. Il y a donc urgence à ce qu’Ariane retrouve le chemin des scènes, où l’on pourra vraiment juger de sa validité.

Pour ce concert, les chanteurs ont été préparés par la pianiste et chef de chant Charlotte Gauthier, dont le jeu convainc malgré l’acoustique très réverbérante de l’Oratoire du Louvre. On voudrait maintenant savourer les couleurs orchestrales dont Massenet a paré sa partition, après en avoir goûté les lignes superbement interprétées au piano. Qui plus est, Hervé Oléon, directeur artistique de Res Lyrica, a su trouver une distribution vocale adéquate, ce qui n’allait pas de soi.
 

Alice Fagard © FX Richard

Du baryton Jiwon Song, on remarque les beaux moyens, mais sa voix de baryton gagnerait à développer une expressivité plus grande. Après Spakos dans Cléopâtre l’an dernier, Paul Gaugler revient cette année en Thésée, dont il négocie assez bien les difficultés, l’écriture du rôle étant particulièrement tendue. Mais on ne s’étonnera pas d’apprendre que les personnages féminins sont ceux auxquels Massenet a accordé le plus de soin, et également ceux qui trouvent ici les meilleures titulaires. On reste pantois devant l’aplomb avec lequel Alice Fagard reprend un rôle conçu sur mesure pour Lucy Arbell : de Perséphone, elle a les graves abyssaux, la noblesse tragique et cet étonnant moment d’attendrissement face aux roses qu’on lui apporte aux Enfers. Après avoir tenu dans Cléopâtre le petit rôle de Charmion, et qui plus est indisposée, Claire-Elie Tenet éclate littéralement dans le rôle de Phèdre, et l’on espère seulement que la beauté de sa voix n’aura pas à souffrit des éclats d’un personnage qui s’exprime surtout par des imprécations rageuses.

Superbe découverte, enfin, avec Ayako Yukawa (photo) dans le rôle-titre : la soprano japonaise s’exprime dans un français excellent et, si elle n’a pas le pedigree wagnérien de Lucienne Bréval, créatrice du rôle en 1906, elle a à son répertoire des rôles à la stupéfiante diversité – d’Armida dans Rinaldo à Quickly dans Falstaff – en dit long sur l’étendue de sa voix. Grâce à son incarnation totalement convaincante, il est aussi permis d’espérer qu’Ariane survivra un jour au désamour dont elle est depuis trop longtemps l’objet.

Laurent Bury

(1) www.concertclassic.com/article/concert-des-eleves-latelier-lyrique-de-lopera-massenet-la-fete-compte-rendu
 
Massenet, Ariane, Paris, Oratoire du Louvre, mercredi 7 octobre 2020 // www.reslyrica.com

© FX Richard

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