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Andromaque de Grétry à Saint-Etienne – Ys en Epire – Compte-rendu

 Selon Racine, « la scène est en Epire », mais à voir l’Andromaque montée par Matthieu Cruciani à l’Opéra de Saint-Etienne, on se croirait plutôt dans la ville d’Ys que les eaux commencent à envahir. C’est peut-être la seule bizarrerie d’un spectacle par ailleurs très sobre, presque trop sage par moments.
Est-ce par analogie aux larmes versées par la veuve d’Hector qu’au deuxième acte, les grands bassins qui occupent près de la moitié de la surface du plateau se mettent soudain à déborder, obligeant tous les interprètes à patauger dans quelques centimètres d’eau ? On regrette que, par la suite, la mise en scène n’ait pas trouvé le moyen de traduire toute la violence du drame qui se joue entre les quatre personnages principaux auxquels le livret mis en musique par Grétry réduit la tragédie de Racine : les règles de l’opéra en 1780 n’étaient plus celles du théâtre un siècle auparavant, et le meurtre de Pyrrhus commence bien sur scène, ainsi que l’indique les didascalies, mais on ne sent guère ici que le sang va couler. Quant à la folie d’Oreste, elle manque singulièrement de démesure.
 

Yoann Dubruque (Oreste) © Cyrille Cauvet

Bien sûr, Grétry n’avait pas le génie d’un Gluck, même si son Andromaque s’inscrit dans le sillage d’Iphigénie en Tauride, créé un an auparavant à l’Académie royale de musique avec les mêmes interprètes : Rosalie Levasseur dans le rôle-titre, Legros passant de Pylade à Pyrrhus, Larrivée étant Oreste dans les deux œuvres. Le premier acte relève de l’exposition un peu longuette, et l’action ne démarre vraiment qu’au deuxième. Mais peut-être Grétry est-il allé plus loin que Gluck dans son refus de l’air, les seuls pages de la partition qu’on peut qualifier ainsi étant les quelques marches et danses de l’inévitable ballet.
 

Marion Lebègue (Hermione) © Cyrille Cauvet

Andromaque n’est pas une œuvre « facile », et l’Opéra de Saint-Etienne a bien du courage d’être le premier à la remonter après sa recréation concertante et scénique en 2009-2010, dirigée par Hervé Niquet puis donnée dans le cadre du festival de Montpellier avec une distribution presque inchangée, seule Andromaque, Karine Deshayes au disque, étant relayée à la scène par Judith Van Wanroij. Ce passage d’une mezzo à une soprano montre bien ce que peut avoir d’hybride le rôle tel que Grétry l’a écrit. Egalement créatrice des rôles d’Armide ou d’Alceste pour Gluck, Mlle Levasseur devait avoir une tessiture très large, et ce n’est pas forcément un cadeau à faire à Ambroisine Bré (photo) que de lui confier Andromaque, dont les notes les plus hautes la mettent un peu en difficulté, malgré toute la dignité qu’elle sait par ailleurs conférer à la mère d’Astyanax. Marion Lebègue, en revanche, trouve en Hermione un rôle qui correspond parfaitement à ses moyens, et auquel elle peut prêter un admirable dramatisme, même si ses costumes ne sont pas toujours les plus seyants possibles (notamment la coiffe de mariée qui rappelle celle qu’arborait Rose Caron dans la Salammbo  de Reyer en 1890).
 

Giulio Prandi © DR

Même si elles excèdent un peu son ambitus dans le grave, les exigences du rôle d’Oreste obligent Yoann Dubruque à sortir de sa réserve et permettent au baryton de montrer de quoi il est capable ; sans doute aurait-il pu aller plus loin encore dans sa grande scène finale. Sébastien Guèze (photo), enfin, était déjà Pyrrhus en 2009 : de ce rôle extrêmement tendu, il a certes les aigus impitoyables, et c’est beaucoup, mais pas la déclamation noble qu’on attendrait dans ce répertoire. On rêverait d’entendre un Michael Spyres, par exemple, mais le ténor français campe un fils d’Achille ambigu, vaguement névrosé, et donne une épaisseur au personnage. Du Chœur lyrique Saint-Etienne Loire se détachent les quelques voix solistes nécessaires pour tenir des rôles plus épisodiques, notamment Bardassar Ohanian en Phoenix, Elsa Vacquin et Amélie Grillon en suivantes d’Andromaque.

A la tête de l’Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire, le très baroqueux Giulio Prandi montre qu’une interprétation sans instruments anciens peut préserver toute la vigueur de l’écriture de Grétry. Puisse-t-il inspirer d’autres chefs et d’autres maisons d’opéra.

Laurent Bury
 

Modeste Grétry, Andromaque – Saint-Etienne, Opéra, 8 mars ;  prochaines représentations les 10 et 12 mars 2023 // opera.saint-etienne.fr/otse/saison-22-23/spectacles//type-lyrique/andromaque/s-711/
 
Photo © Cyrille Cauvet

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