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Une interview d’Adèle Charvet, mezzo – « On ne fait pas rire si l’on n’est pas absolument précis »

Boucles folles et sourire ravageur, la jeune mezzo Adèle Charvet est partout, sur tous les fronts. Quelques années ont suffi pour la hisser sur les plus hautes marches et lui permettre de montrer toute l’étendue d’un talent protéiforme. Présente sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées où elle semble avoir ses habitudes, dans le rare Robinson Crusoé d’Offenbach, jusqu’au 14 décembre(1), elle a répondu à nos questions entre deux répétitions d’un spectacle résultat d’une coproduction entre le TCE, Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes, en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane.
Après avoir chanté Joséphine Baker en ouverture de saison, vous êtes revenue en concert pour Farnace et vous voici à l’affiche de la production de fin d’année, Robinson Crusoé. Le Théâtre des Champs-Elysées serait-il devenu votre principal port d’attache ?
C’est un heureux hasard et je me réjouis de me retrouver cette saison à plusieurs reprises dans ce théâtre. Venir chanter au Théâtre des Champs Elysées a une saveur particulière, car j’y ai des souvenirs musicaux qui datent de mon enfance, lorsque j’étais jeune choriste. Par ailleurs, c’est une chance immense d’avoir la « confiance » d’un théâtre comme celui-ci et de pouvoir y explorer des répertoires extrêmement variés. Le programme Joséphine Baker, par exemple, où je passais d’une pièce contemporaine à de la chanson, était un vrai pari vocal que je suis heureuse d’avoir relevé dans un lieu où je me sens si bien.
"J’ai à cœur de ne pas travestir ma voix pour qu’elle reste la même dans n’importe qu’elle œuvre"

Chanson, répertoire baroque, mélodie, opéra et opéra-comique, vous avez la chance de couvrir un large spectre musical. Qu’est-ce que cette gymnastique, ce brassage vocal demandent à votre instrument pour répondre à chaque particularité ?
C’est un exercice difficile que de jongler avec les répertoires, mais ô combien gratifiant quand cela se passe bien. Je crois que ce brassage vocal demande avant tout une très grande préparation en amont, afin de ne pas se laisser surprendre et de ne rien laisser au hasard quand on doit dans la même semaine (comme je l’ai fait en septembre dernier) chanter du Vivaldi, du Sidney Bechet et de la musique contemporaine. Il faut cultiver la souplesse de la voix, dans tous les styles et se ménager des temps précieux de récupération. J’ai aussi à cœur de ne pas travestir ma voix pour qu’elle reste la même dans n’importe qu’elle œuvre.
« Le travail avec Laurent Pelly est fascinant : le timing est essentiel, rien n’est laissé au hasard »
Cette production d’Offenbach réunit une nouvelle fois au TCE une équipe qui a fait ses preuves dans le monde de l’opéra et de l’opéra-comique : Minkowski, Pelly, Mélinand, Thomas… On se souvient de La Périchole, de Cosi fan tutte, mais aussi de La Belle Hélène, de La Grande Duchesse de Gerolstein, de La fille du Régiment, Platée ou d’Orphée aux enfers qui ont fait date. De quelle manière gérez-vous les nombreux dialogues parlés qui, à la différence de l’opéra classique rapprochent l’opéra-comique du théâtre, et le fait de faire rire une salle ?
Le processus de travail sur les dialogues a été riche car une grande partie des textes a été réécrite pendant les répétitions pour permettre aux chanteurs/acteurs que nous sommes de se les approprier pleinement. La difficulté dans les dialogues est de trouver un placement de la voix qui soit naturel, qui projette mais ne fatigue pas. Je chante un rôle travesti, celui de Vendredi, et ne peux pas vraiment utiliser ma voix de tête pour parler, là est la contrainte principale en ce qui me concerne. Il n’est pas rare de faire rire une salle quand on chante de l’opéra, les rôles comiques ou de caractères sont nombreux et la grande leçon que j’en tire, que ce soit en chantant ou en parlant, c’est que l’on ne fait pas rire si l’on n’est pas absolument précis. Le travail avec Laurent Pelly est fascinant pour cette raison : le timing est essentiel, rien n’est laissé au hasard, et chaque intention, chaque geste, part toujours de la musique.
« La pertinence du rôle pour ma voix est mon principal critère »
Contrairement à de nombreux ouvrages d’Offenbach qui n’ont jamais quitté l’affiche, Robinson Crusoé demeure une rareté.(2) Le connaissiez-vous avant qu’on ne vous le propose et plus généralement quels sont les critères qui vous font signer un contrat ou pas ?
Je ne connaissais de Robinson Crusoé que la célèbre valse d’Edwige « Emmenez-moi vers celui que j’adore », un air virtuosissime pour soprano lyrique léger qui sera chanté par la divine Julie Fuchs. J’ai été séduite par la grande beauté de la musique, c’est un Offenbach ambitieux que nous retrouvons dans cette œuvre et par mon personnage qui est intéressant, car écrit pour la créatrice du rôle de Carmen, Célestine Galli-Marié, qui avant d’interpréter la cigarière, n’a chanté pratiquement que des personnages de travestis, de rebelles ou de marginaux. Enfin, il y a la promesse d’un travail riche et passionnant avec l’association de Marc Minkowski et de Laurent Pelly. C’est aussi ma première production d’opéra au Théâtre des Champs Elysées. Voilà tous les paramètres qui m’ont fait accepter ce contrat en particulier. Plus généralement, la pertinence du rôle pour ma voix est le principal critère, bien entendu.
Vous venez de remporter le Prix « Rising star » au 2025 Opera Award, ce que vous avez accueilli comme un véritable honneur. Quelles conséquences directes va avoir cette récompense sur le cours de votre jeune carrière ?
C’est amusant car après huit ans dans le métier, je ne me sens plus si jeune. Mais je suis très touchée par ce prix car il récompense ma saison passée ; saison qui a été pour moi la plus riche et la plus épanouissante artistiquement, avec des prises de rôle qui m’ont fait énormément grandir tels que Cherubino ou Ariodante, sans oublier mes premiers pas vers un répertoire plus lyrique avec Carmen ou encore Charlotte. J’ignore quelles seront les conséquences directes sur ma carrière mais je me réjouis du coup de projecteur un peu plus international que ce prix m’offre, moi qui ait jusqu’à présent essentiellement travaillé en France.
Propos recueillis par Flavien Boiret

(1) Lire le CR : https://www.concertclassic.com/article/robinson-crusoe-doffenbach-au-theatre-des-champs-elysees-jusquau-14-dec-moga-et-non-maga
(2) Lire de compte-rendu de Paul Bernard après la création de 1867 : www.concertclassic.com/article/les-archives-du-siecle-romantique-97-la-creation-de-robinson-crusoe-doffenbach-vue-par-paul
Jacques Offenbach : Robinson Crusoé – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, jusqu'au 14 décembre 2025 // www.theatrechampselysees.fr/saison-2025-2026/opera-mis-en-scene/robinson-crusoe
Reprises à Angers le 10 mai, à Nantes les 29 & 31 mai, 2 et 4 juin : www.angers-nantes-opera.com/accueil/robinson-crusoe
puis à Rennes les 16, 18, 20, 22 & 24 juin 2026 : www.opera-rennes.fr/fr
Photo © Marco Borggreve
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