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Marie Jacquot dirige l’Orchestre Philharmonique de Radio France – La force des contrastes – Compte rendu

 
 
Pas de fumigènes ni de hurlements dans l’Auditorium de Radio France alors que le même soir, à la Philharmonie de Paris, l’hystérie haineuse des opposants à la pure démarche artistique entravait le déroulement du concert donné par la Philharmonie d’Israël et son flamboyant chef Lahav Shani : là, simple bonheur musical en se réjouissant que l’époque permette à une jeune génération d’artistes fracassants d’imposer une nouvelle marque.

 

© DR 

 
Energie et sens du détail
 
Et l’explosion était sur le plateau, car Marie Jacquot, baguette en main, s’emparait pour la première fois de l’Orchestre Philharmonique de Radio France (rencontre qui faisait suite à celle avec le National en mars dernier), elle qui a déjà un palmarès de cheffe impressionnant, mais n’avait pas encore été confrontée à cette phalange.
Fumigènes sonores donc, sur la scène, car la jeune femme diffuse une énergie, une volonté de fouiller dans les moindres recoins des partitions qui suscite l’admiration et souvent l’enthousiasme. Gestes fins et fermes, comme noyée dans la masse orchestrale pour n’en faire jaillir que les idées majeures, Marie Jacquot est bien plus qu’une valeur montante, puisqu’à 35 ans elle est déjà montée très haut, du Théâtre Royal de Copenhague, dont elle est cheffe principale, au Wiener Symphoniker (cheffe principale invitée), et d’une foule de formations toutes prestigieuses, qui dévorent son emploi du temps.

 

Nicolas Altstaedt © DR

 
Quête d’un graal sonore
 
Quelque chose d’un jockey dans cette silhouette menue qui va droit devant, sans manières ni cabotinage : juste l’essentiel dans un programme pour le moins contrasté, qu’elle avait entièrement choisi. Démarrer sur Marc-André Dalbavie, qu’elle connaît bien puisqu’elle a dirigé au Staatsoper unter den Linden la création de son opéra The Melancholy of Resistance, est déjà moins facile que d’ouvrir sur l’ouverture de Guillaume Tell , par exemple. Color, créé en 2002, impose une attention soutenue pour percevoir la myriade d’étoiles sonores que le compositeur fait s’enchâsser, miroiter, et rebondir. Là encore, de même que le geste a remplacé la danse sur maintes scènes, le son déloge ce que l’on appelait traditionnellement la musique pour en explorer les confins ultimes. La leçon de choses ne s’adresse bien évidemment pas au mélomane traditionnel, mais elle a l’intérêt de l’arracher à son confort mélodique et de l’envoyer quelque part dans l’espace. Jacquot, visiblement, prenait plaisir à cette quête d’un graal sonore.
 
Puis, descente dans l’abîme des rêveries propres à Dutilleux, avec Tout un monde lointain, son Concerto créé en 1970 par Rostropovitch, et joué en état de rêve par le très extraordinaire violoncelle de Nicolas Altstaedt, plus qu’inspiré par cette errance en cinq plages. Mouvance infinie, calme grondant, scintillements orfévrés, envols, avec une touche de désespoir, le génie de Dutilleux était comme sublimé par la rencontre de ces deux artistes amoureux de sa palette, mariage fastueux de la baguette de Jacquot et de l’archet d’Altstaedt. L’orchestre accompagnait aussi finement que possible ces tracés éperdus.

 
De l’intime au violent
 
Evidemment, quand Marie Jacquot a levé le bras pour nous entraîner dans les Tableaux d’une exposition de Moussorgski / Ravel, l’ambiance était tout autre : rythmique déchaînée, instants de grâce irisée ou mélancolique, fermeté implacable dans les attaques, respiration reposante entre les coups d’éclat, une véritable fête de couleurs et d’envolées pétillantes, pour finir sur un finale, grandiose comme toujours dans cette œuvre, mais parfaitement dominé, ce qui est majeur pour en éviter le pompiérisme possible. De quoi faire admirer les riches sonorités de l’orchestre, mises en valeur par l’incroyable variété de l’instrumentation. Une œuvre dont on sait l’impact puisqu’elle est si populaire, mais qu’il faut savoir graduer, de l’intime au violent. Là, grâce à Marie Jacquot et aux musiciens galvanisés par son souffle et son art de garder la distance, on savourait comme un nouveau bonheur ce festival de tableaux sonores.  Le feu d’artifice était bien là où il devait être, sur la scène ...
 
Jacqueline Thuilleux
 

Auditorium de Radio France, le 6 novembre 2025

 
Photo © Werner Kmetitsch

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