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​« Le Voyage de Komitas » – Les arts menés en Arménie – Compte rendu

C’est une assez inhabituelle synthèse des arts qu’a conçue Artavazd Sargsyan avec « Le Voyage de Komitas », où s’entrelacent musique, théâtre, danse et peinture. De son vrai nom Sogomon Soghomonian, Komitas fut sans doute le plus grand des compositeurs arméniens, et il est mort à l’hôpital de Villejuif il y a 90 ans cette année (à quoi l’on pourrait ajouter le 110anniversaire du génocide arménien).

 
 

© Artur Arzoyan

Libre évocation

L’hommage que le ténor a choisi de rendre à son compatriote sort du cadre ordinaire du concert, ou même du concert-lecture : sans contenu didactique particulier, il choisit d’évoquer librement la figure du compositeur et mystique, sans se priver de donner à entendre des œuvres de ses contemporains et successeurs. Le titre même intrigue : le voyage dont il est question est-il le premier séjour que Komitas fit à Paris, en 1906-1907 ? On pourrait le croire, puisque le récitant – le baryton Paul-Alexandre Dubois – lit des extraits de sa correspondance, où il mentionne les différents compositeurs français qu’il rencontra à cette occasion. Ou s’agit-il plutôt de son exil forcé à partir de 1919, lorsqu’il fut envoyé à Paris afin d’être soigné pour troubles psychiques ? La dernière partie de la soirée pousse à le croire, quand le récitant adopte une tenue monastique, puis s’étend sur des vêtements pliés qui, pour le spectateur d’aujourd’hui, rappellent les camps de concentration, mais qui renvoient sans doute plutôt au génocide de 1915.

 

© Artur Arzoyan
 

 
Une émotion subtilement dosée

Quand le spectacle commence, le public découvre sur la scène un talentueux trio composé du pianiste Francesco Gruppo-Maurel, du violoniste Davit Hakobyan et du violoncelliste Thibaut Reznicek. Ils accompagnent Artvazd Sargsyan, qui chante une première mélodie aux mélismes envoûtants, puis « Krunk » (la grue), sans doute l’une des pages les plus célèbres de Komitas, chanson populaire harmonisée par le compositeur, chargée de nostalgie. Quand on passe à la musique française que l’Arménien a pu connaître et admirer, le Clair de lune de Debussy justifie l’apparition d’une peintre (Aghavni Goletsyan) qui crée en direct une toile dans un coin de la scène ; pour la Sarabande de Rameau, une danseuse (Anaïs Kedikian) feint d’improviser quelque pas, mais revient ensuite à plusieurs reprises de façon tout à fait délibérée. Parmi les compositeurs français, on entend aussi Saint-Saëns et le plus rare Koechlin, avec une de ses Chansons bretonnes pour violoncelle et piano. Du côté des Arméniens, si le nom de Khatchatourian est connu en France, pour son incontournable Danse du sabre, on entend aussi des œuvres d’Alexandre Spendiarian et d’Arno Babadjanian, entre autres.
L’un des sommets de la soirée est indéniablement l’interprétation habitée de Bleuet de Poulenc, sur un poème d’Apollinaire, où Artavazd Sargsyan se montre impressionnant de ferveur. Habilement éclairé, d’une émotion subtilement dosée, ce concert hors-normes dérange heureusement nos habitudes, les toutes premières réactions du public en témoignent.

Laurent Bury
 

« Le Voyage de Komitas » (spectacle écrit et mis en scène par Artavazd Sargsyan) – Palaiseau, Théâtre de la Passerelle, 19 octobre 2025
 
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