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Don Quichotte de Massenet à l’Opéra de Lausanne – Sous le crâne de la longue figure – compte rendu

 

 
Pour monter ce qui est sans doute le seul des derniers opéras (1) de Massenet à être régulièrement repris, Bruno Ravella a trouvé une solution qui, rétrospectivement, paraît bien simple : adopter le regard non pas du monde extérieur sur Don Quichotte, mais de Don Quichotte sur le monde extérieur.
 

© Opéra de Lausanne - Carole Par

Beau et efficace
 
Au lever du rideau, le chevalier est un homme du monde en habit et haut-de-forme, comme le seront tous les membres du chœur, tous pupitres confondus, mais il se dépouille aussitôt de ses oripeaux ; son gilet, retourné, devient à la fois cuirasse et camisole de force, et c’est sous l’aspect d’une sorte de fou de Dieu qu’il apparaît ensuite, constamment hilare. Et conformément au livret, qui souligne à quel point il agit « comme autrefois Jésus », le troisième acte le montre non plus chevalier à la triste, mais à la christe figure, les bras en croix parmi les bandits (les larrons ?), tandis que le collier de Dulcinée vient former derrière sa tête une auréole. Ladite Dulcinée est une vamp plus hispanique qu’il n’est permis, dea ex machina descendue des cintres, posée comme un oiseau sur un perchoir constellé d’ampoules lumineuses, tout comme le décor dont la forte perspective évoque une sorte de tunnel en raccourci. Comme nous sommes dans l’esprit de Don Quichotte, les moulins n’apparaissent même pas : c’est bien un géant qui surgit au deuxième acte, ou du moins ses jambes et ses mains. A l’atmosphère de fête foraine ou de music-hall qui a prévalu pendant les actes centraux succède finalement un retour au plateau nu où le héros mourra. Tout en noir, blanc et rouge, le spectacle est beau et efficace.

 

© Opéra de Lausanne - Carole Par
 
> Les prochains opéras de Massenet <

Si cet opéra de Massenet se maintient assez aisément, c’est peut-être aussi parce que, comme Cendrillon et, dans une moindre mesure, comme Thaïs, il ne confie pas de rôle important à un ténor. L’Opéra de Lausanne a néanmoins respecté les instructions de la partition en confiant Juan, seul personnage secondaire un rien plus développé, à un ténor et non à un baryton comme c’est devenu la coutume ; Jean Miannay profite ici de chaque occasion de donner de la voix, dès qu’il lui est permis de sortir du quatuor de soupirants qu’il forme avec son collègue ténor Maxence Billiemaz, la soprano Andrea Cueva Molnar et la mezzo Herlinde Van de Straete (Massenet prévoyait en Garcias une soprano).
 

 
Barrard digne héritier de Fugère
 
Avec sa bonhomie et sa rondeur, Marc Barrard semble né pour chanter Sancho ; il faut voir les mimiques et les gestes discrets dont il enrichit constamment son incarnation, dans le registre comique d’abord, pour atteindre la grandeur aux deux derniers actes. Vocalement, le baryton ne rencontre aucun obstacle et se montre le digne héritier de Fugère, premier interprète de ce rôle à Paris – Monte-Carlo lui avait préféré André Gresse pour la création mondiale – comme de tant d’autres de Massenet.
Marc Barrard était déjà présent à Marseille en mars 2024 lorsque Nicolas Courjal chanta pour la première fois le rôle-titre. On apprécie le soin et la sobriété avec lesquels la basse sert la partition, pliant sa voix aux nuances exigées par le compositeur, et campant de manière fort convaincante le fou sublime présenté par le livret. Et il est bon d’entendre en Don Quichotte un artiste en pleine possession de ses moyens, ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé.

 

© Opéra de Lausanne - Carole Par

 
Séduisante Dulcinée
 
Habillée en meneuse de revue, en Espagnole des Folies-Bergères (telle Suzy Delair dans Quai des Orfèvres, avec son tralala, elle n’a pas besoin de castagnettes, ni de la guitare dont elle est censée jouer elle-même), Stéphanie d’Oustrac se montre habile à exploiter sa tessiture d’un bout à l’autre, avec parfois des graves de cantaora dans les nombreux « Alza ! », même si certaines vocalises pourraient être plus nettes. Les différentes facettes du personnage sont parfaitement traduites par cette très séduisante Dulcinée.
 À la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne et du Chœur de l’Opéra préparé par Alessandro Zuppardo, Laurent Campellone, toujours très à l’aise dans le répertoire français, et chez Massenet en particulier, dirige une partition qui n’a plus de secrets pour lui, sans rien appuyer, sans exagérer l’ardeur des scènes de fête et, surtout, sans étirer indûment le dernier acte, ce dont on lui sait gré.
 
Laurent Bury

 

 
(1)     Don Quichotte fut créé à l’Opéra de Monte-Carlo le 24 février 1910 avec Fiodor Chaliapine dans le rôle-titre
 
 
Jules Massenet, Don Quichotte – Lausanne, Opéra, 5 octobre ; prochaines représentations les 7, 10 & 12 octobre 2025 : www.opera-lausanne.ch
 

Photo © Opéra de Lausanne - Carole Par 

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