Journal
L’Assemblée et Le Grand Ballet au Festival d’Ambronay 2025 – Douce errance – Compte rendu

Heureux qui comme Ulysse, certes, mais c’est un moment bien précis de son beau voyage qu’a choisi de retenir Marie Van Rhijn pour ce concert dédié aux sirènes, vivantes allégories du pouvoir de la musique, sorte de double négatif d’Orphée puisque leur voix séductrice est cause de mort. Malgré tout, elles ne manquent pas dans l’histoire du chant, et si le troisième des Nocturnes de Debussy n’est évidemment pas au programme, l’ensemble L’Assemblée n’en propose pas moins un parcours non pas exhaustif, sans doute, mais du moins extrêmement diversifié des incarnations de la sirène dans la musique occidentale des derniers siècles, et pas seulement savante. C’est d’ailleurs l’éclectisme du programme qui pourrait ici désorienter l’auditeur, convié à passer d’un style et d’un pays à un autre sans que l’on sache toujours bien comment l’ordre des pièces a été choisi.

Marie van Rhijn, Camille Poul & Florie Valiquette © Bertrand Pichène
De belles surprises
Dans cette exploration, les pages les plus connues ne sont pas forcément celles qui ressortent avec le plus d’éclat : hors contexte, l’intervention des deux sirènes de Rinaldo passe presque inaperçue, et même celles de King Arthur, partition pourtant plus fragmentée, ne marquent guère. Le concert est pourtant riche en belles surprises. Trois compositrices avaient été annoncées en préambule : la soirée s’ouvre sur l’œuvre pour harpe seule de notre contemporaine Isabelle Prouvelle, qui met en vedette Caroline Lieby, mais l’on avoue avoir été plus sensible au « Chant de la sirène » (1830) de Pauline Duchambge, avec son charme désuet de romance de salon, et surtout aux extraits de la serenata Ulisse in Campania (1768) de la Milanaise Maria Teresa Agnesi Pinottini. On connaissait la cantate « Les Sirènes » (1709) de Thomas-Louis Bourgeois grâce au disque enregistré il y a une quinzaine d’années par Carolyn Sampson : partagée entre un récitant et deux sirènes, elle prend ici une forme plus explicitement dramatique. On reste subjugué par un lamento tiré de la zarzuela Veneno es de amor la envidia (1711), qui prouve qu’après Coronis, l’œuvre de Sebastián Durón mérite décidément un coup d’oreille. Et même si Ulysse y est désormais très loin de sirènes, on se réjouit d’entendre les dernières minutes de son Ritorno in patria. Offerte en bis, l’exquise « Mermaid’s Song » de Haydn ne ravit pas moins.
Soutenus par six instrumentistes que Marie van Rhijn dirige depuis le clavecin, trois voix se font sirènes pour l’occasion. Une grossesse visiblement bien avancée ne retire rien de son expressivité ni de son ampleur au chant de Florie Valiquette (photo à dr), tandis que Camille Poul (photo à g.) affronte crânement les cascades de vocalises d’une cantate de Scarlatti, entre autres. Quant à Cyril Auvity, à la diction toujours aussi ferme, on le découvre déchaîné dans un traditionnel mexicain, maracas en mains, dans une chanson napolitaine de Vincenzo Valente, ou maniant le tambourin avec verve pour « Questa dolce sirena » (1596) de Gastoldi, lorsqu’il fait participer le public.
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Le Grand Ballet © Bertrand Pichène
Jean-Claude Gillier retrouvé
C’est à un tout autre voyage que convie l’ensemble Le Grand Ballet, dirigé par le claveciniste Matthieu Franchin, autour d’un compositeur français bien oublié : Jean-Claude Gillier (1667-1737), qui produisit surtout des musiques pour des pièces crées à la Comédie-Française. Beaucoup de vaudevilles, comme on peut s’y attendre, des airs de danse et des chansons à boire, sur des paroles souvent coquines, dues à des dramaturges qu’on ne connaît plus guère que pour un titre, comme Lesage qui n’est donc pas seulement l’auteur de Turcaret, mais aussi de La Pénélope moderne, en collaboration avec Fuzelier, le librettiste des Indes galantes, ou Regnard qui, outre Le Légataire universel, donna aussi La Sérénade et Le Bourgeois de Falaise. C’est néanmoins surtout pour des comédies de Dancourt que Gillier conçut ces mélodies, parmi lesquels on a la surprise d’entendre quelques superbes compositions bien moins « naïves », plus proches de l’air de cour et qui ne dépareraient pas dans une tragédie lyrique.
Gillier, qui se rendit notamment à Londres et y publia sa musique, écrivit aussi des airs très virtuoses en anglais ou en italien, dont quelques exemples sont ici chantés avec beaucoup d’esprit et de vivacité par la soprano Camille Fritsch et par le ténor Romain Bazola, accompagnés par Armance Merle à la flûte, Thomas Guyot au violoncelle et Colin Heller au violon et à la vielle à roue. Pour en savoir plus sur Dancourt, et donc sur Gillier, on ne manquera pas le colloque organisé en décembre prochain par le CMBV, dont Le Grand Ballet sera partie prenante.
Laurent Bury

Festival d’Ambronay, 26 septembre 2025 « Embarquement pour Cythère », œuvres de Gillier, par l’ensemble La Grand Ballet (18h) ; « Ulysse et les Sirènes » par L’Assemblée (20h30) // www.ambronay.org/festival/programmation
Photo © Bertrand Pichène
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