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​Falstaff selon Denis Podalydès à l’Opéra de Marseille – Delirium très gros – Compte-rendu

 

 
Après avoir promené sa bedaine il y a deux ans entre Lille et Caen, en passant par le Luxembourg, le Falstaff de Denis Podalydès a posé ses valises pour quatre représentations à l’Opéra de Marseille. Nous avons assisté à la troisième qui, dit-on, est souvent la meilleure, débarrassée du stress de la première et pas encore touchée par le relâchement final …

 

Giulio Mastrototaro (Falstaff) © Christian Dresse

Entre verve et mélancolie
 
« E sogno o realta ? » Entre les murs sales et décrépis d’un asile hors du temps imaginé par Eric Ruf, Sir John Falstaff, dans son pyjama griffé Christian Lacroix à larges rayures vertes, mauves et blanches, traîne sa panse immense en même temps que sa mélancolie sans se départir d’une verve attachante, presque émouvante.
Perfusion vineuse au bras, il vit, dit-il, son « été de la Saint-Martin », celui qui, l’automne venu, précède l’hiver fatal ; et il confie à Bardolfo et Pistola, ses compagnons de chambre, sa volonté de séduire les femmes une dernière fois, jetant son dévolu sur Alice Ford et Meg Page, deux des quatre commères-infirmières de Windsor avec Nanetta, la fille Ford, qui en pince pour Fenton, et Mrs Quickly. Quant à Ford, il est le pharmacien-intendant de l’asile, le médecin du lieu étant le docteur Caiüs auquel Nanette est promise par la volonté paternelle.

 

Giulio Mastrototaro (Falstaff) & Alice Ford (Salome Jicia) © Christian Dresse

 
Les maux de la société et les codes de la farce
 
« Le rire amène le sérieux et le sérieux ramène le rire » écrit Denis Podalydès dans sa note d’intention ; appréciée, ou non, sa mise en scène a la qualité d’être cohérente, dynamique, épousant aussi bien les maux de la société que les codes de la farce, le tout dans une ambiance parfois délirante. Et au bout du compte, une fois éventré tel un animal et débarrassé du poids des vicissitudes de sa vie, lorsqu’il lance, à Ford qui vient de bénir sans le savoir l’union de sa fille Nanette avec Fenton, que le plus berné des deux n’est peut-être pas celui qu’on pense, Falstaff n’est-il pas le grand triomphateur de la farce ? « Ma ride ben chi ride, la risata final… »

 

Salome Jicia (Alice Ford), Nanette (Hélène Carpentier), Teresa Iervolino (Mrs Quickly) Héloïse Mas (Meg Page) & Alberto Robert (Fenton) © Christian Dresse
 

Puissance et présence
 
Le Falstaff campé par Giulio Mastrototaro (photo), à l’instar de son monumental abdomen, est grandiose de puissance vocale et de présence scénique. Diction parfaite, précision itou, projection sans faille ; le baryton est au mieux de sa forme, imposant avec justesse ce personnage si particulier pour lequel Verdi, au long d’un génial chant du cygne, a sublimé son art de la composition. Fort appréciées, aussi, la délicatesse et la sensibilité de la Nanette interprétée par Hélène Carpentier. Charme et précision, ligne de chant idéale, son air de la reine des fées au troisième acte fut un pur joyau. Son amoureux, Fenton, entre passion et naïveté, avait les traits juvéniles et la voix limpide d’Alberto Robert, jeune ténor dont nous reparlons certainement dans les années à venir.
Quant aux trois autres « commères », Salome Jicia a offert une Alice Ford enjouée et dynamique aux aigus percutants, Héloïse Mas fut une Meg Page assurée et elle aussi puissante et Teresa Iervolino, une Mrs Quickly idéale complice espiègle au moment de provoquer Falstaff, voix posée et emplie de profondeur.
Rien à redire sur le Ford de Florian Sempey qui trouve ici un rôle à la juste mesure de son jeu et de sa voix dont on connaît la rectitude et la qualité de projection. Quant aux comprimari, le Caiüs de Raphaël Brémard, le Bardolfo de Carl Ghazarossian et le Pistola de Frédéric Caton, fort sollicités par le metteur en scène, ils ont idéalement complété une distribution de qualité à laquelle il convient d’associer le chœur maison et son chef Florent Mayet.

 

Michel Spotti © Anthony Carayol
 

Une baguette sensible et subtile
 
Enfin, et ce n’est pas l’une des moindres pierres de l’édifice, arrivant de Parme où il dirigeait Falstaff pour la première fois de sa carrière au Festival Verdi, Michele Spotti a offert une direction précise et précieuse, lumineuse et nuancée, d’une partition qui mérite amplement d’être abordée comme un bijou. Le jeune maestro ne s’y est pas trompé, insufflant toute sa sensibilité et sa subtilité à une partition magistrale bénéficiant des couleurs et de la précision d’un orchestre dont on ne dira jamais assez combien il excelle désormais dans l’interprétation d’ouvrages lyriques mais aussi symphoniques. A ce propos, il donnera le 23 novembre, toujours sous la direction de Michele Spotti, la Symphonie n°2 « Résurrection » de Mahler dans le cadre du XXe Festival « Musiques Interdites »(1) ; nul doute que ce moment vaudra d’être vécu… Quant à Falstaff,  il tient le haut de l’affiche puisqu’il sera l’invité, dans quelques jours, de l’Opéra d’Avignon (un Falstaff « d’après Verdi » mis en scène par Andrea Piazza) et ouvrira l’année 2026 à Montpellier dans une production signée David Hermann.
 
Michel Egéa
 

 
(1) https://musiques-interdites.fr/
 
Verdi : Falstaff – Marseille, Opéra, 13 novembre ; dernière représentation le 15 novembre 2025 // billetterie.marseille.fr/fr/operas
 
 
© Christian Dresse

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