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Une interview de Cristian Măcelaru, Directeur musical de l’Orchestre National de France – « Enesco est un héros national en Roumanie »

Moment important que l’année 1880 dans l’histoire des relations internationales. Elle vit en effet la reconnaissance de l’indépendance d’Etat de la Roumanie par la France le 20 février avec, dans la foulée, l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays.(1) Le 145e anniversaire de cet événement est prétexte à un concert-célébration, le 20 novembre à la Maison de la Radio et de la Musique avec l’Orchestre National de France et l’Orchestre des Jeunes de Roumanie dans des pages de Fauré, Massenet, Bizet, Chaminade, Ravel, Cosma, Saint-Saëns et, bien évidemment, George Enesco (1881-1955). On ne pouvait trouver pour le diriger un meilleur emblème de l’amitié franco-roumaine que Cristian Măcelaru (photo), Directeur musical de l’Orchestre National de France et Directeur artistique du Festival et Concours international George Enesco de Bucarest. Concertclassic l’a rencontré en août dernier dans la capitale roumaine.
Le chef a été très tôt en contact avec le répertoire français. « J’ai commencé à le diriger, quand je suis parti étudier aux Etats-Unis, se souvient-il. Mais en Roumanie, je l’avais déjà beaucoup fréquenté en tant que violoniste. Lors de mes premiers cours, aux Etats-Unis, l’une des premières œuvres que j’ai dû apprendre fut La Valse de Ravel – une œuvre très formatrice pour un jeune chef !
Vous êtes le directeur artistique du prestigieux – et gigantesque ! – Festival George Enescu de Bucarest – où près de 4000 musiciens issus de vingt-quatre pays convergent cette année pour la 27e édition. Une occasion aussi d’entendre de formidables musiciens roumains, qu’on a peu ou pas l’occasion d’écouter en France …
Oui, et nous voulons également y faire entendre des œuvres qu’on n’a pas souvent l’occasion d’écouter en Roumanie, telle la Missa Solemnis de Beethoven Pour élaborer la programmation du festival, nous identifions d’abord le répertoire, puis les musiciens qui pourraient l’interpréter. Et nous confions aussi des répertoires rares à des musiciens roumains. J’ai d’ailleurs ouvert le festival en dirigeant une formation roumaine, l’Orchestre Philharmonique George Enescu.
« La musique qu’Enesco a écrite après avoir étudié en France, est très précisément écrite, et très influencée par la musique française tout en ayant des racines roumaines. »
Enesco est de plus en plus joué en France ; on se souvient notamment des représentations d’Œdipe en 2021 à l’Opéra Paris, dans la production de Wajdi Mouawad.(2) Vous pour votre part avez dirigé Enesco à l’Orchestre National : les musiciens connaissaient-ils sa musique ?
Enesco n’a jamais oublié ses racines roumaines tout en partant étudier à l’étranger. Il a travaillé brièvement à Vienne, puis a étudié à Paris, au conservatoire, auprès de Massenet et Fauré. La musique qu’il a écrite après avoir étudié en France, est très précisément écrite, et très influencée par la musique française tout en ayant des racines roumaines. Jusqu’alors, ce génie précoce était très influencé par Brahms et Wagner. Mais son langage harmonique a changé du tout au tout après qu’il a étudié en France. Son langage mélodique aussi a changé, avec de plus longues phrases. Quand j’ai apporté cette musique à l’Orchestre national de France, il y avait les traces d’une tradition. Il y avait beaucoup de choses imprimées sur les partitions que je n’avais pas besoin d’expliciter, contrairement à ce que je dois faire avec d’autres orchestres dans d’autres pays. Cette musique était déjà dans l’ADN de l’Orchestre National.

« En tant que jeune musicien roumain, vous ne pouvez échapper à la présence d’Enesco. »
En tant que violoniste roumain, quelle a été l’importance pour vous du violoniste qu’était Enesco ?
C’était pour nous le violoniste le plus important, et à l’école il était partout. En tant que jeune musicien roumain, vous ne pouvez échapper à la présence d’Enesco. Son influence reste considérable, même aujourd’hui. J’ai eu la chance de jouer devant Ida Haendel (1928-2020), qui avait étudié avec Enesco. Elle m’a dit que son unique grand amour avait été ce compositeur !

En France, nous avons maints compositeurs majeurs, très importants, très connus – Berlioz, Debussy, Ravel, et bien d’autres… – mais aucun ne semble occuper dans notre imaginaire la place qui est celle Enesco dans l’imaginaire roumain ...
Cela a peut-être à voir avec le fait qu’Enesco est arrivé à une période historique, durant laquelle la Roumanie tentait de trouver son identité propre. Je ne pense pas que la France ait eu besoin d’une telle affirmation. Enesco est de surcroît arrivé à un moment où, en Roumanie, le folklore et la tradition ont revêtu une grande importance. Enesco a su capturer un certain esprit. Il est en Roumanie beaucoup plus qu’un compositeur, un violoniste, un pianiste, il est un héros national comme Smetana peut l’être pour les Tchèques. Ces compositeurs ont créé une identité musicale.

"Ce festival est une très belle histoire, dont Enesco serait fier."
Le Festival George Enesco a lieu tous les deux ans – initialement c’était tous les trois ans. Pouvez-vous nous parler des circonstances de sa création, en 1958, sous un régime communiste ?
L’initiative est venue d’un chef d’orchestre, George Georgescu (1887-1964), un ami proche d’Enesco. Enesco est mort en exil, et il a voulu honorer sa mémoire. 1958 correspond à une période où la Roumanie cherchait à s’éloigner de l’influence soviétique. C’était donc une volonté culturelle et émancipatrice. Yehudi Menuhin, David Oïstrakh, Igor Markevitch, le tout jeune Zubin Mehta ont été invités pour la première édition. Le gouvernement roumain, y compris durant la période communiste, a toujours continué à soutenir ce festival. Je ne connais pas de festival à l’étranger, qui représente un tel investissement dans la culture. Ce festival est une très belle histoire, dont Enesco serait fier.(3)
Vous êtes issu d’une famille de musiciens. Vous souvenez vous d’un jour sans environnement musical ?
Non, et du reste je ne me souviens même pas dans quelles circonstances j’ai commencé le violon. J’étais très jeune. J’ai appris à lire la musique avant d’apprendre à lire. Je peux dire que le solfège est ma langue maternelle ! A l’école, j’étais surpris que mes camarades ne jouent pas de violon, ou ne pratiquent pas la musique.
Propos recueillis par Frédéric Hutman, le 29 août 2025

(2) www.concertclassic.com/article/oedipe-de-georges-enesco-lopera-de-paris-mouawad-assume-le-mythe
(3) festivalenescu.ro/en/
Concert des 145 ans des relations diplomatiques franco-roumaines
Orchestre National de France / Orchestre des Jeunes de Roumanie, dir. Cristian Măcelaru / Luc Héry, violon, Maria Marica, violon
20 novembre 2025 – 20h30
www.maisondelaradioetdelamusique.fr/evenement/lorchestre-national-de-france-accueille-lorchestre-des-jeunes-de-roumanie?s=1286526#content-page
Photo © Orchestre National de France
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