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​« Miroirs vénitiens » par l’Académie d’Ambronay (dir. Amandine Beyer) – Vive l’autogestion ! – Compte rendu

 
C’était le dernier des cinq concerts de la série programmée cet été avec les jeunes instrumentistes de l’Académie d’Ambronay. Avant qu’elle ne rejoigne ses nombreux admirateurs et amis sous la Voile de l’Abbaye aux Dames de Saintes, on retient quelques minutes Amandine Beyer (photo), rayonnante, au sortir de l'Abbatiale « On a beaucoup, beaucoup, beaucoup travaillé. On s’est beaucoup amusé aussi ! » : les mots de la violoniste donnent la clef de la réussite d’une entreprise inscrite dans le cadre de Sustainable EEMERGING, un projet de coopération européenne destiné à accompagner l’envol de jeunes musiciens baroques.

 

© Elodie Douillard

 
« Tout le monde a été soliste à un moment ou à un autre. »

 
Vingt musiciens sélectionnés, dix nationalités représentées, une moyenne d’âge de 26-27 ans, et un niveau déjà très professionnel. « J’ai mis le programme au point en partie avec le musicologue Olivier Fourés, mais surtout avec Pierre Bornachot (directeur adjoint et délégué artistique du CCR d’Ambronay), Isabelle Battioni (directrice du CCR d’Ambronay) et Montse Faura (directrice générale et artistique du Festival Toroella de Montgrí en Catalogne, explique la violoniste. L’Académie était en fait pour moitié sur Ambronay, pour moitié sur Torroella. Le titre « Miroirs vénitiens » vient je pense de Pierre et convient très bien. J’avais envie de travailler avec l’orchestre sur un modèle éclaté, c’est à dire qu’à chaque concert on a changé les solistes. Tout le monde a donc été soliste à un moment ou à un autre. Et à l’intérieur du concert, ça tournait beaucoup aussi. Plusieurs personnes ont été les leaders de l’orchestre. J’ai vraiment adoré que les musiciens soient en autogestion. J’ai pour ma part beaucoup tenu la partie d’alto. Je les ai laissés mener leur barque et je trouve que ça c’est plutôt bien passé. »
 
Plusieurs personnes sont intervenues au cours de l’Académie, tel le violoncelliste Frédéric Baldassare – avec lequel Amandine Beyer collabore souvent – pour ce qui concerne les basses. Olivier Fourés a également apporté ses compétences, immenses, sur la musique vénitienne, celle de Vivaldi au premier chef. On aura aussi vu une metteuse en scène entrer en jeu pour un travail sur le groupe ou encore l’Irlandaise Aingeala De Búrca animer un stage de Technique Alexander.

 

Jorge Vela-Hurtado Sánchez © Michel Alnet

 
« Être musicien professionnel, ça passe aussi par transmettre le plaisir. »
 
 
Résumer en quelques mots la philosophie du travail mené avec tous ces jeunes musiciens ? « Nous avons essayé de leur rappeler, en tout cas moi, mais je pense tout le monde, qu'être musicien sur scène et être musicien professionnel, ça passe aussi par transmettre le plaisir qu'on a à jouer une pièce, confie Amandine Beyer. Et pas seulement par la performance technique ou la perfection, ou la vitesse, ou la justesse. »

Notion centrale s’il en est que celle de plaisir dans l’univers sonore jouissif de la musique vénitienne. Et le public, nombreux, a pu mesurer lors du concert à l’Abbatiale combien le message d’Amandine Beyer à ses jeunes collègues a été reçu. Cinq sur cinq !
Animé d’un élan généreux et impatient, le Concerto pour violon en ré majeur Op. 6/12 de Dall’Abaco donne le ton de la soirée. Le Si mineur pour 4 violons RV 580, l’un des concertos les plus célèbres de Vivaldi, réunit ensuite les archets de Laurène Patard-Moireau, Hanna Crudele, Tatiana Bechlitz-Szönyi et Natasha Pichler en un dialogue très équilibré. Le propos sait être vif, allant, nerveux, mais jamais au détriment du lyrisme et de la respiration.
Avec un bassoniste de la qualité de Jorge Vela-Hurtado Sánchez, il eût été dommage de ne pas inclure un concerto pour cet instrument, aimé et intimement compris par le Prêtre Roux. Le Si bémol majeur RV 503 montre un jeu d’une poésie et d’une mobilité admirables. On n’est pas près d’oublier l’onirisme troublant que l’artiste espagnol apporte au mouvement lent, proprement magique. Longs applaudissements, particulièrement mérités, pour un souffleur dont vont réentendrez reparler ...

> Les prochains concerts de concertos de Vivaldi <
 
Le programme « Miroirs vénitiens » marque l’aboutissement d’une période de travail très intensif certes, mais de quelques semaines seulement. La Sinfonia a cinque en sol majeur op. 2/1 d’Albinoni, celle a quattro en sol mineur op. 5/6 ou, un peu plus loin, le Concerto grosso en ré majeur op. 5/6 de Dall’Abaco, tout de grâce bondissante, mettent particulièrement en valeur l’exceptionnelle homogénéité d’ensemble à laquelle l’Académie d’Ambronay 2025 est parvenue.
 

Nikita Ruzhavinskii & Moeko Aiba (Giorgia Zanin au théorbe ; Amandine Beyer au fond à droite à l'alto) © Michel Alnet

 
Electrisante joute virtuose
 
Vous reprendrez bien un peu de Vivaldi ? Avec le plus grand plaisir ! Surtout quand deux solistes de la trempe de Nikita Ruzhavinskii et Moeko Aiba s’attaquent au Concerto pour deux violoncelles en sol mineur RV 531 avec un telle gourmandise, l’électrisante joute virtuose des mouvements vifs entourant un Largo d’une prégnante poésie – à laquelle la sonorité bien projetée du théorbe de Giorgia Zanin apporte beaucoup.

 

Amadine Beyer © Elodie Douillard

 
Un merci en musique
 
Installée au sein de l’orchestre, à l’alto le plus souvent, depuis le début de la soirée, dans une position aussi discrète que vigilante envers ses troupes, Amandine Beyer sort du rang in fine pour tenir la partie soliste du Concerto pour violon (avec orchestre en double chœur) RV 581 de Vivaldi. Moment de communion musicale d’une touchante intensité. Dernier concert : il faut se dire au revoir et l’accompagnement plein de relief et de couleurs que les instrumentistes apportent à la soliste à l’allure d’un enthousiaste et reconnaissant merci envers celle qui leur a tant apporté. Sans se servir de leur talentueuse jeunesse pour se faire valoir ...  
 
Mais la fête n’est totalement finie. Au moment du bis, Jorge Silva se met au devant de la scène pour montrer qu’il n’est pas qu’excellent claveciniste mais aussi ... contre-ténor ! Et d’interpréter avec sensibilité le « Vedrò con mio diletto » tiré d’Il Giustino de Vivaldi, dont le thème est ensuite repris par le violon d’Amandine Beyer. Quel concentré de talents que cette vénitienne Académie d’Ambronay 2025 ! (1)
 

2CD HMM 902769.70 (sortie 17/10/25)
 
Quant à Amandine Beyer et ses Incogniti, ils feront l’actualité à l’automne avec un double album (à paraître chez Harmonia Mundi) qui, sous le titre « Bach from Italy », réunira des pages de Bach, Vivaldi et Marcello.
  
Alain Cochard

 

Abbaye aux Dames, Abbatiale, 15 juillet 2025
 
 
(1) Liste des participants à l’Académie d’Ambronay 2025 ( dir. Amandine Beyer) :
 
Laurène Patard-Moreau (violon), Paolo Martino Delmarco (violon) Enesh Dzhanykova (violon), Marta Guillen Pegueroles (violon), Joseph Lowe (violon), Hanna Crudele (violon
),Tatiana Bechlitch-Szönyi (violon), Phaik Tzhi Chua (violon), Natascha Pichler (violon), Laura Vila Mayoral (violon), Mario Carpinteron (alto), 
Mario Guedes Gutiérrez (alto),
Luis Manuel Vicente Beltrán (alto), Moeko Aiba (violoncelle), 
Lucie Cazes (violoncelle
), Nikita Ruzhavinskii (violoncelle
), Ron Veprik (contrebasse), 
Jorge Vela-Hurtado Sánchez (basson), Jorge Silva (clavecin), 
Giorgia Zanin (théorbe).
 
Photo © Michel Alnet

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