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​ Kristóf Baráti et Gábor Takács-Nagy au Verbier Festival 2025 – Magie et énergie – Compte rendu

 
Il arrive l'air décontracté, une ample chemise dissimulant difficilement son embonpoint. Mais dès qu'il saisit son archet et fait vibrer son Stradivarius, Kristóf Baráti (photo) en fait couler l'or et la lumière et se fait magicien. On se réjouit de l'entendre à nouveau à Verbier, où il figure parmi les hôtes réguliers, et on regrette d'autant plus amèrement l'absence en France d'un des plus grands violonistes de moment. Il y fut pourtant révélé en 1996, à 17 ans, en remportant le deuxième prix du concours Long-Thibaud, derrière Daishin Kashimoto, classement qui avait alors suscité quelques vives réactions.
D'autres épreuves prestigieuses (Reine Elisabeth, Paganini) ont distingué un don exceptionnel, un virtuose impeccable mais surtout un artiste de premier ordre. Aussi a-t-on pu s'étonner de l'entendre s'égarer dans le Concerto pour violon n° 4 d'Alexey Shor, Ukrainien installé aux États-Unis, mathématicien devenu un improbable compositeur, additionnant des pages de musique invertébrée et doucereuse aux lointains accents baroque et classique.

 

© Sophia Lambrou

Un formidable chanteur
 
Le violoniste hongrois put heureusement donner la pleine mesure de son talent dans le Concerto pour violon n° 2 « La Campanella » de Paganini, appréhendé avec le soutien efficace de son compatriote Gábor Takács-Nagy et du Verbier Festival Chamber Orchestra, avec un sérieux et un aplomb inattendus. Tant pis pour les sourires complices, les œillades enjôleuses et les effets de manche : la virtuosité est au rendez-vous mais elle n'attend pas les bravos à chaque carrure, à chaque trait vainqueur, à chaque double corde réussie. Et le violon, sous ses airs d'acrobate, se révèle un formidable chanteur, notamment dans un Adagio délié et lyrique comme du bel canto. Malgré le martèlement de la grosse caisse et le tintement de la clochette, les flonflons restent en coulisse et cèdent la scène à la musique. La Sarabande de la Partita pour violon seul n° 2 de Bach offerte en bis a rappelé quels sommets d'intensité expressive Kristóf Baráti peut atteindre, toujours avec la même rigueur et la même concentration. Quel artiste !

 

© Sophia Lambrou

 
Une leçon de style et d’élégance
 
La Symphonie n°4 de Brahms proposée en seconde partie poursuivait cette quête de l'éloquence sans le secours du masque ou du porte-voix. L'effectif réduit d'un orchestre de chambre (treize violons, cinq altos, quatre violoncelles et deux contrebasses) remise définitivement aux oubliettes l'image d'un gros barbu qui ne peut que parler gras et lourd. La polyphonie, si travaillée dans cette musique, comme les jeux de timbre et de rythme s'illuminent d'une clarté bienvenue sans jamais affadir le propos. La direction incisive et énergique de Gábor Takács-Nagy, qui toujours soutient la ligne, fait aussi bien tempêter la coda du premier mouvement que s'épanouir les couleurs automnales de l'Andante moderato ou varier les climats (et le tempo) de l'étourdissant finale avec une irrésistible spontanéité. Une superbe leçon de style et d'élégance !
 
Philippe Venturini

 

Verbier Festival, salle des Combins, le 19 juillet 2025 // Verbier Festival, jusqu’au 3 août 2025 // www.verbierfestival.com/
 
Photo © Sophia Lambrou

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