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Vikingur Ólafsson aux Pianissimes – De feu et de glace – Compte rendu

On avait les volcans, les geysers, voici le piano islandais : avec Vikingur Ólafsson (photo), c’est le feu et la glace qui déferlent sur nos poétiques sensibilités. On se doutait qu’avec un prénom pareil, ce jeune pianiste aurait une personnalité détonante. C’est plus encore, car il est surtout étonnant : un ovni que cette brindille décorée d’une mèche qu’il lance constamment en arrière, courant et sautillant plus qu’il ne marche pour accéder au clavier, s’emparant du micro comme d’un porte voix pour percer les brumes de nos cerveaux et nous éclairer sur les finesses de tel ou tel compositeur qu’il a choisi de jouer, en l’occurrence, Bach, Chopin, Glass. Bizarrement, lorsqu’il s’installe au piano, cette agitation se fige, le regard pâle se fixe, aucune mimique mais une concentration redoutable.
 © Les Pianissimes

A 33 ans, Ólafsson a déjà tracé son sillage d’une façon inhabituelle : une enfance immergée dans la musique familiale, un label propre (Dirrindi), puis un contrat chez DG, des festivals dans son pays et partout des approbations souvent ébahies. Car ce garçon est une sorte d’extra-terrestre, par son jeu et ses choix : très engagé dans la bataille de la musique contemporaine, il a déjà fortement attaché son nom à l’œuvre de Phil Glass, lequel est venu spontanément vers lui, trouvant que ce jeune homme était le mieux à même de traduire son univers pianistique, moins connu que ses œuvres lyriques ou symphoniques.
D’emblée, en l’écoutant parler ou jouer, on se rend compte que sa compréhension de la musique est fusionnelle mais avec un regard de mathématicien, une démarche très intellectuelle qui ne lui interdit pas des effets dramatiques. Un toucher dur, incontestablement, mais des vertus analytiques qui font merveille dans la Partita n°6 de Bach, un peu moins, il faut l’avouer dans Chopin dont l'Etude en fa mineur (1ère des Trois Nouvelles Etudes), puis celle Op.25 n°2 et enfin l’Op.10  n°9 (toutes trois en fa mineur, on aura saisi la subtilité) ont moins convaincu, faute du lyrisme qui en adoucirait la démarche technique. Là, sur ce point, l’ovni est parfait : ses doigts sont d’acier, le son de cristal.
 
Avec Glass, merveilleux univers : Opening, suivi des Etudes nos 9, 13, 3, 5 et 6, les plus fines de cet ensemble parfois un peu rébarbatif. Ólafsson s’y ébat comme dans un aquarium, trouvant dans cet univers répétitif la base qui convient à ces poétiques interventions de la main droite, laquelle module en délicatesse des changements de lumière, d’états d’âme, prolongés par le beau fond mouvant imaginé par la talentueuse vidéaste Anne Sadovska (une création du Centre audiovisuel du CCR Les Dominicains de Haute-Alsace). Ce sont le ciel de New York, les tours de New York, les files lumineuses et continues des voitures sur les autoroutes nocturnes qu’évoque ce parcours plus que séduisant.
 
Pour finir, l’être de feu et de glace a culminé en bis sur un Intermezzo inattendu, cueilli dans le Carnaval de Vienne de Schumann : surprenante métamorphose, le Gould retrouvé dans Bach, se faisait plutôt chantre d’un romantisme puissant, pesant et finissant sur une emphase de la main gauche qui gommait quelque peu les effets mélodiques de la droite. Plus qu’on n’en attendrait pour un intermezzo, davantage fait pour générer des émotions diffuses que pour imposer un climat dramatique. Décidément, Vikingur Ólafsson n’a pas fini de nous surprendre, et le voir jouer ajoute incontestablement à l’intérêt de ses interprétations, comme un Fazil Say ou une Khatia Buniatishvili.  
 
A propos de fortes personnalités, ne manquez pas le prochain concert des Pianissimes, le 18 décembre aux Récollets, avec le fantastique Alessandro Deljavan dans les Variations Goldberg, de retour à Paris après son mémorable récital Chopin à Bagatelle en juin dernier.(1)
 
Jacqueline Thuilleux

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